Pascal Lapointe – Et si on résumait... (cinquième texte)


Peut-être suis-je un des rares à avoir lu tous les textes déposés au cours des derniers mois sur ce site Web interactif en prévision du colloque, et cela me laisse un goût amer. Des visions articulées, variées, passionnées... mais l’ensemble est, globalement démoralisant. Les constats sont, partout, négatifs. L’avenir est sombre. Et les pistes de solutions? Y en a-t-il?

-> L’information-spectacle est devenue dominante, se désolent tour à tour Jacques Plante, Jean-Pierre Charbonneau, Gilles Normand, Liza Frulla et Stanley Péan, ces deux derniers insistant aussi sur la superficialité et la culture du clip, tout comme Jean-Claude Lauzon et Gilles Lesage. Les médias, rappelle Louise Blanchard, sont devenus des objets de consommation, de plus en plus associés au culte de l’opinion (Frulla) et de la vedette (Blanchard, Normand), phénomène que les blogues ne pourront qu’amplifier.

-> La liberté d’expression: les journalistes semblent en voie de réprimer tout esprit critique quand leur conglomérat est concerné (Marc-François Bernier), les intérêts corporatifs ont pris le dessus (Laurent Laplante), ce sont les acteurs politiques et économiques «qui imposent l’agenda» (Plante), les lois d’accès à l’information sont grugées (Anne Pineau) et le contexte de travail - produire plus vite et pour plus d’une plateforme - élimine peu à peu la réflexion (Jean Thivierge) ou l’analyse (François Demers). Tout cela, dans un contexte où les compétences civiques de la population sont en déclin, selon Henry Milner.

-> L’évolution du marché: la transformation de l’industrie médiatique à l’heure d’Internet ne fait que commencer, soulignent Michel Nadeau, Daniel Marsolais, moi-même et François Demers. Pour ce dernier, cela entraîne «le tassement des médias généralistes, qui les pousse encore plus avant dans les conglomérats», une réorganisation des métiers et un accroissement du travail précaire (dont la pige). Certes, l’explosion des nouveaux médias (dont les blogues) pourrait se révéler «un plus» pour la démocratie. Anne-Marie Voisard en doute, elle qui souhaiterait qu’informer demeure le privilège des journalistes, tout en reconnaissant que c’est «rêver en couleur». Qui sait, demande Daniel Marsolais, si les journalistes «pros» d’aujourd’hui, ne seront pas remplacés par des «communicateurs» de toutes sortes, subissant le même sort que les typographes quand l’industrie n’a plus eu besoin d’eux...

Face à cet «âge des ténèbres» y a-t-il des pistes de solution à présenter au colloque? Pratiquement pas. Gilles Normand et Daniel Marsolais terminent leur article par l’intertitre «Que faire?», mais restent dans le vague: organiser la réflexion, se rappeler du rôle civique du journaliste... Et tous deux d’ajouter aussitôt que, hélas, les médias sont d’abord des machines à profits. Retour à la case départ.

Bernard Landry appelle à une «régulation de la liberté de presse». Isabelle Gusse et Anne Pineau proposent, plus spécifiquement, des réglementations qui obligeraient les médias à insuffler davantage d’infos d’intérêt public, ou même, limiteraient la concentration de la presse. Mais l’idée est ambitieuse, quand on se rappelle que les journalistes se braquent dès qu’il est question de réglementer leur métier - par ailleurs, si Marc-François Bernier a raison lorsqu’il voit les journalistes comme des défenseurs des intérêts de leur conglomérat, on n’est pas sorti du bois.

«S’engager comme résistant», écrit Stanley Péan. Bien. Très bien. Mais ce sont des mots creux, s’ils ne sont pas associés à une action concrète ou à un objectif précis.

Quant à moi, j’écrivais, et j’y crois plus que jamais, que pour éviter ces impasses, il y a une voie sur laquelle un consensus serait facile à obtenir, où le poids d’un syndicat, avec un lobbying efficace, aurait un impact plus rapide: l’amélioration des conditions de travail des plus précaires d’entre nous.

C’est une réflexion qui a été menée en coulisses depuis près de deux décennies, notamment à l’AJIQ. Une énorme brique, le Rapport Bernier, qui s’empoussière depuis cinq ans, contient toutes les recommandations nécessaires à un virage radical dans notre façon de traiter le travail autonome, cette frange imposante de notre société, dont l’évolution a un impact indéniable sur la qualité de l’information.

S’engager sérieusement sur cette voie - en faire une priorité, avec ce que cela implique -, serait pour ces syndicats si souvent décriés par les jeunes et les «précaires», la meilleure façon - à mon avis la seule façon - de «promouvoir les solidarités à l’intérieur du secteur des médias» qu’espère François Demers. Et, en travaillant à garder dans le métier des jeunes bourrés de talent, on contribuerait à l’émergence d’une future génération de ces «champions de la réflexion, du rejet de l’arbitraire et de l’absolu» qu’appelle de tous ses voeux Stanley Péan.


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Pascal Lapointe est journaliste depuis une vingtaine d'années. Il est toujours demeuré près du milieu de la pige, comme pigiste lui-même, comme rédacteur en chef de l'Agence Science-Presse, petit média à but non lucratif et porte d'entrée pour les débutants, où il a contribué à former de nombreux journalistes, et à titre de membre du conseil d'administration de l'AJIQ dans les années 1990 et 2000. Il est co-auteur du livre Les nouveaux journalistes: le guide. Entre précarité et indépendance (PUL, 2006).

Jean Thivierge – Réflexions d’un col bleu


Je me suis toujours vu comme un col bleu de l'information durant mes 30 ans comme journaliste à Radio-Canada. En travaillant dans cette boîte, j'avais doublement le devoir de défendre avant tout l'intérêt public. Tout d'abord, dans une société d'État qui est au centre du développement socioculturel du Canada et du Québec, on ne peut passer à côté de cette responsabilité et, quand j'y suis entré, c'est cette culture qui dominait à RadCan. Ensuite, comme journaliste, face à une société dont le développement s'accélérait, mais où les inégalités apparaissaient de façon plus criante, je sentais aussi que je devais avant tout défendre l'intérêt public dans toute l'acception du terme.

J'ai fait de l'action syndicale à partir des années 80 dans la foulée de toutes les batailles des années 60 et 70 pour permettre aux journalistes de protéger leur indépendance et leur intégrité. Je croyais que l'amélioration des conditions de travail faisait partie de cette démarche. Aujourd'hui, ce que je vois, c'est le recul des conditions de travail partout dans les médias. On a réduit les effectifs sans égard aux conventions, et, dans certaines entreprises, la judiciarisation des relations de travail finit par vider de leur sens des conventions collectives rendues inapplicables. Les clauses discriminatoires ou «orphelins» se sont multipliées pour réduire les conditions de travail des jeunes qu'on embauche. Le recours aux employés temporaires «jetables après usage» est devenu la norme.

Pour réduire les coûts de production tout en augmentant la productivité, on a non seulement réduit les effectifs, mais on a aussi changé l'orientation des couvertures journalistiques en privilégiant, par exemple, la couverture des faits divers, qui ont l'avantage de comporter une histoire complète quand on la rapporte et qui ne nécessitent pas un effort de compréhension trop important, que ce soit de la part du journaliste ou du public.

Le flux d'informations disponibles maintenant dépasse souvent la capacité d'absorption du public. Ce faisant, les citoyens se sentent floués ou perdus, incapables de donner un sens exact à ce qu'ils apprennent. Le rôle, ou à tout le moins un des rôles du journaliste responsable et préoccupé par l'intérêt public, est justement de donner un sens, une signifiance à cette masse d'informations.

Dans la mesure où les journalistes sont objectivement moins nombreux à scruter la réalité, dans la mesure où les intérêts corporatifs ont pris le dessus sur l'intérêt public, dans la mesure où l'organisation du travail devient tranquillement une «désorganisation tranquille du travail», on entre brutalement dans un monde où la rumeur et l'approximatif se confondent avec la réalité. Des sociétés fascisantes peuvent se développer sur de telles bases.

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Jean Thivierge a travaillé 30 ans comme journaliste à Radio-Canada, dont 18 comme correspondant parlementaire pour le service des nouvelles radio. Il a couvert tous les grands événements politiques des 25 dernières années au Québec, dont les référendums de 1980, 1992 et 1995, en plus de couvrir les campagnes électorales de 1989 à 2003. Préoccupé par les questions d'environnement et d'énergie, il a produit de nombreux reportages sur ces sujets. Quelques séjours en milieu autochtone ont également été à l'origine d'une couverture assidue des dossiers autochtones. Les dossiers sociaux, mais aussi celui des négociations du secteur public, ont également été son pain et son beurre durant ses années de journalisme. Jean Thivierge est retraité de Radio-Canada depuis juin 2007.

Louise Blanchard - Chiens de garde ou chiens de cirque?


La plume m'en tombe des mains devant la question que pose le colloque de la FNC: informer est-il encore d'intérêt public?!... Est-ce possible que le journalisme ait tant muté que l'on ait à envisager pour lui une autre mission que celle d'informer?! Serait-ce que la démocratie n'a plus besoin de ses chiens de garde, comme on appelait les journalistes dans mon (bon?) vieux temps?!
Il est vrai que de retrouver les trois mots «informer», «intérêt» et «public» dans la même phrase paraît surréaliste tellement ils habitent souvent de nos jours sur des planètes différentes. «Informer» n'est-il pas devenu, pour bien des journalistes, une sorte de vieux mantra désincarné et répété machinalement? «L'intérêt», lui, n'évoque-t-il pas celui des propriétaires de médias, en appétit constant de développement d'entreprise et de convergence? Quant à l'épithète «public», n'a-t-il pas perdu son sens de collectivité sociale pour ne nommer que les lecteurs et les auditeurs?
En 25 ans de métier au Journal de Montréal, je n'ai jamais entendu, accolés dans la bouche de mes patrons, les termes «médias» et «démocratie». Ceux de «mission du journaliste» non plus. Le mot «objectif», par ailleurs, a toujours fait partie du paysage. Objectif de «scooper» la compétition, de rejoindre plus de lecteurs (l'intérêt public...), de couper des postes, de hausser les profits, de rationaliser les ressources, de développer la convergence. Est-ce le fait de se sentir ainsi toujours déchirés entre leur mission de journaliste et l'objectif essentiellement économique de l'entreprise qui a rendu tant de mes anciens collègues cyniques et blasés au cours des années? Le cynisme est l'auge des idéalistes déçus, et l'auge est pleine au Journal de Montréal - comme sans aucun doute ailleurs. Comme on ne peut rentrer chaque jour au travail en se méprisant d'avoir abandonné ses idéaux, eh bien, on étouffe ses scrupules par l'indifférence - ou l'adhésion volontaire aux objectifs patronaux -, le sarcasme et le chèque de paye. Dans le meilleur des cas, on se tourne vers l'action syndicale et professionnelle pour tenter d'endiguer les assauts de l'employeur en brandissant la convention collective et les menaces de griefs (ça, c'est quand on est un salarié syndiqué permanent: la précarité a un goût encore plus amer et pernicieux...)
La convergence, dans un tel état d'esprit, s'avale sans sourciller par bien des journalistes. Les citoyens, eux, écrasés devant TVA le soir, et lisant, le matin, le Journal de Montréal avec leur café, se font rouler dans la même farine de la convergence sans même un soupçon d'éternuement. Mais qui les informe des dangers qui menacent l'intérêt public avec cette capture des médias par quelques mains choisies?! TVA? Le Journal de Montréal ?... Faudra-t-il que des MédiaMatin poussent partout au Québec pour que les citoyens, mis en contact direct avec les journalistes, constatent l'ampleur du problème?
La démocratie, il faut dire, est une réalité toujours en mouvement qui n'est pas épargnée par les contradictions. On ne peut nier que l'information - notamment internationale - a pris une dimension imposante sur le plan public, ces dernières années. Les nouvelles technologies ont amplifié le phénomène, ouvrant par ailleurs la voie à «l'infostress» et «l'infobésité» - ces effets pernicieux d'une surenchère quotidienne d'information ingurgitée à toute allure et sans discernement. En même temps, une confusion des genres s'est abattue sur le métier, plaçant tous dans le même panier de l'information - certains plus en haut que d'autres - les reporters, les chroniqueurs, les envoyés spéciaux, les correspondants, les collaborateurs (spécialisés ou non), les animateurs, les critiques, les blogueurs, les éditorialistes, et j'en passe. Au Journal de Montréal, on engage à tour de bras et à peu de frais des collaborateurs spécialisés qui kidnappent les fonctions des journalistes et grugent leur espace rédactionnel. Comment retrouver une information claire, exacte, complète, dans les méandres de l'opinion dont on use et abuse sans vergogne? Il est même rendu de mise de calculer l'importance de l'information en fonction, non pas de l'information elle-même, mais bien en fonction de celui qui la rapporte!
Serait-ce donc que les aboiements des chiens de garde ne se font plus entendre de nos jours pour avertir le public des dangers de l'ombre mais bien pour attirer la lumière des projecteurs sur... eux-mêmes?! L'intérêt des propriétaires de médias en sort peut-être gagnant, mais le public et la démocratie, j'en doute. Alors, vivement un colloque là-dessus! Mais quant à savoir qui informera le public de ces débats, alors ça, c'est une autre histoire...

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Louise Blanchard a amorcé sa carrière de journaliste dans l'information locale, à Montréal, avant d’entrer au Journal de Montréal en 1980 où elle est demeurée jusqu’en 2006. Au cours de ces années, elle a touché pratiquement à tous les secteurs - faits divers, affaires sociales, politique provinciale et municipale - avant d'être affectée à la couverture du cinéma. Elle a aussi profité d'années sabbatiques pour travailler comme attachée de presse à la CEQ, retourner à ses études en philosophie et voyager en Asie avec son conjoint, André Dalcourt; cette sabbatique asiatique a d’ailleurs mené à l'écriture conjointe de deux livres. Également très active au sein de la FPJQ dans les années 80, notamment comme vice-présidente pendant trois ans, elle s’est ensuite impliquée dans son syndicat, le STIJM, comme membre du comité de négociation, puis comme membre du bureau de direction. Depuis qu'elle a repris sa liberté, elle travaille sur des projets de documentaires. Le dernier en chantier porte sur l'évolution du journalisme au Québec.

Jacques Plante – La confusion des genres à RDI


Le temps passe et RDI apparaît comme une vaste plage de temps d’antenne gratuite mise à la disposition des partis politiques et groupes d’intérêts qui veulent s’en servir sans cadre ni balise. C’est la confusion des genres. Est-ce un spectacle ou de l’information?

Par exemple, Le Club des Ex. Ils se prononcent sur tout et sur rien et nous disent quoi penser. Québec et Ottawa s’ajustent, personne ne marche sur les pieds des autres. Chacun attend sagement son tour avant d’entrer directement dans mon salon, sans intermédiaire. Quand la chef du PQ s’adresse en direct au chef de l’ADQ qui, lui, parle au chef du Parti libéral du Québec, il y a moins de temps pour les questions des journalistes. On saute d’un événement, d’une déclaration à l’autre. Le message est conçu pour se rendre directement à l’auditoire, sans filtre. Quelles sont les normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada à ce sujet?

Ce sont les intervenants qui imposent l’agenda. Si le premier ministre fait une déclaration à Ottawa, RDI, par entente tacite ou négociée, coupe une entrevue ou une discussion en ondes et passe cette déclaration en direct. Si on a le temps, on laisse des questions aux journalistes. Trop souvent, on ne vide pas le sujet parce qu’un autre intervenant attend, dans une autre ville, pour passer son message. Comment le public peut-il juger de la qualité et de l’intégrité du contenu?

Sous des apparences de CNN, RDI c’est, surtout, remplir du temps d’antenne. Plus, ça ressemble à des «plugs» qui se multiplient et se répètent d’heure en heure. Et si on s’en prive, va-t-on manquer quelque chose d’indispensable? Pas certain.

C’est l’usine, la machine à saucisses, n’importe quoi. Au cas où on ne comprendrait pas, un journaliste nous résume les propos tenus en ondes une minute avant. Si ce n’est pas assez clair, RDI Junior va encore le répéter avec, en prime, le même sujet au TJ. Lourd, très lourd.

Mais l’antenne est occupée. Un sociologue, un penseur, un autre lologue, un comédien, un universitaire, un spécialiste de l’image, plus un vox-pop et une tribune téléphonique, donc de la radio, là on est en affaires. Insérez quelques images d’un drame aux États-Unis et une adresse «web» où voir un carnage à peine en différé et c’est le délire.

Dans tout cela, où sont les politiques de la SRC en matière d’éthique, de transparence et de rigueur? RDI serait-elle aussi une chaîne de variétés? Sans parler de la qualité du français qui est en chute libre. À trop vouloir ressembler à ses concurrents privés, Radio-Canada se dénature et ne parvient pas nécessairement à les concurrencer. À l’antenne, c’est devenu la guerre des déclarations, des opinions, des ballons, au détriment des faits.

Les journalistes de Radio-Canada ne pourront changer seuls cette situation. Leur charge de travail augmente et ils doivent produire de plus en plus vite, sans filet. Je n’ai pas LA solution, LA réponse. Peut-être que je suis dépassé et que je ne comprends rien à cette manière «d’informer», d’exercer le métier. Ce qu’on sait cependant, c’est que le concept de livraison du message directement dans le salon de l’électeur-contribuable, avec le moins de journalistes possible dans les jambes, était en gestation depuis au moins 15 ans. À l’époque, le créneau n’existait pas.


RDI, réseau de l’information et non pas réseau de nouvelles. C’est aussi pour ça qu’on y retrouve un joyeux mélange. Qui plus est, les reportages, hors bulletin de nouvelles, s’étirent, se multiplient. Par exemple, sur les nids de poule, l’Halloween, le Boxing Day, la tempête, quand ce n’est pas l’après-tempête ou celle qui s’en vient! Sans oublier une entrevue avec un météorologue pour nous dire qu’il pleut. Les commissions qui n’en finissent plus. L’affaire Mulroney-Schreiber. Finalement on a LE SUJET pour remplir l’antenne: la crise du verglas 10 ans plus tard. On a étiré la sauce avec une semaine de rappels et de répétitions. RDI donne aussi dans le service et le divertissement.

Pendant ce temps, lentement mais sûrement, les salles de nouvelles radio et télé régionales ferment ou s’éteignent, notamment sous l’effet de la concentration de propriété.

Mais, à l’occasion, cette façon de faire de RDI permet de découvrir certains talents. Les journalistes sont moins coincés dans le seul reportage du TJ. Malgré la pression du direct de dernière minute, nombreux sont ceux et celles qui se tirent très bien d’affaires en direct et qui ajoutent un commentaire, un mot d’humour, de vie, d’émotion. Ça aussi c’est un changement.


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Jacques Plante a commencé sa carrière de journaliste en 1966 à CJRC (Ottawa) après des études en lettres, comptabilité et cinéma à Québec et un stage au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes à Paris. Après un passage à CHRC (Québec), il fait, en 1970, son entrée à la salle des nouvelles de Radio-Canada à Québec, où il travaille autant pour la radio que la télévision jusqu’en 2000. Pendant la moitié de ces 30 années passées à la Société d’État, il a assuré la couverture parlementaire. Depuis qu’il a pris sa retraite du journalisme, il travaille comme consultant et formateur en communications.

Marc-François Bernier - Les nouveaux mercenaires de l'information


L’auteur reprend ici un texte publié dans l’édition du 22 janvier 2007 du quotidien Le Devoir.


Une des leçons qu'il faut retenir du débat confus entre accommodements raisonnables et racisme qu'a volontairement allumé l'empire Quebecor et son sondeur de prédilection Léger Marketing, c'est que les journalistes et commentateurs patentés de Quebecor se comportent de plus en plus comme des mercenaires incapables de critiquer leurs égarements.
Il faut avoir lu l'ensemble des textes consacrés aux différentes questions de ce sondage pour constater qu'à aucun moment les nombreux journalistes affiliés à Quebecor n'ont songé à remettre réellement en question la définition même du mot «racisme» que le sondeur a librement utilisée.
Il y avait pourtant beaucoup à dire tant sur les définitions retenues (on confond racisme avec inconfort, par rapport aux autres cultures notamment) que sur la répartition des réponses et la tournure générale des questions. Ces imperfections ont miné la validité de l'exercice au point que toute interprétation devenait dénuée de fondement.
Réaliser un sondage scientifique en suivant toutes les règles de l'art n'aurait pas coûté plus cher à l'empire Quebecor. Il aurait cependant créé moins de remous et réduit considérablement les retombées commerciales et médiatiques de l'exercice, car les résultats, probablement plus nuancés, auraient été moins facilement exploitables à l'écran et sur papier.
Devant le silence des nouveaux mercenaires de l'information et de l'opinion, tout dévoués à la cause de leur employeur, les critiques sont venues de l'extérieur. On a même vu des textes dans Le Journal de Montréal pour attaquer ces critiques. En somme, hors de Quebecor point de salut! Pour paraphraser un thème déjà débattu par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, les médias sont-ils les nouvelles Églises et leurs journalistes, les nouveaux curés?
Ce dernier épisode s'ajoute à bien d'autres, dont celui des fameuses analyses de l'eau des piscines publiques de l'été 2006. Déjà, les journalistes de Quebecor avaient réprimé tout esprit critique afin de ne pas nuire à l'impact médiatique et commercial de ces stratégies de marketing où l'on invente le scoop, à défaut de le découvrir au terme d'une enquête au-dessus de tout soupçon.
Suivre les mots d'ordre
Pour l'observateur des médias, ce comportement de groupe est troublant. Il faut en effet s'inquiéter quand ceux qui ont choisi de faire un métier reposant avant tout sur la liberté d'expression, et qui nous psalmodient l'évangile de la diversité de l'information, acceptent de suivre aveuglément les mots d'ordre de leur employeur. Comment est-il possible que des dizaines de gens reconnus pour leur franc-parler et se disant jaloux de leur libertéde critiquer puissent ainsi chanter à l'unisson la même partition sans interroger ceux qui manient la baguette?
Il faut par ailleurs reconnaître que les motivations des concurrents doivent aussi être remises en question quand ils critiquent les initiatives de Quebecor. D'une certaine façon, cela rend la situation encore plus inquiétante. Sommes-nous en voie de nous retrouver dans un système médiatique où chacun embrigade ses journalistes et collaborateurs afin d'attaquer et affaiblir le concurrent, imposant du même coup un esprit de clan typique des groupes idéologiques?
Une telle possibilité est à la fois incompatible avec la liberté d'expression des individus et menace gravement l'intégrité professionnelle des journalistes. Comment prendre au sérieux leurs revendications en matière de liberté de presse et de droit du public à l'information quand eux-mêmes sont en quelque sorte complices d'une forme de censure ou se complaisent dans des conflits d'intérêts systémiques?
Pour ceux qui se sont inquiétés des possibles excès de la concentration et de la convergence des médias d'information, de tels épisodes n'ont rien de rassurant, car ils démontrent le pouvoir réel que les conglomérats médiatiques ont d'influencer les débats publics en fonction de leurs intérêts corporatistes. On peut penser que l'intérêt médiatique s'impose devant le déclin du principe qui consiste à oeuvrer pour l'intérêt public.
Il faut craindre que la situation ne favorise une escalade de conflits entre mercenaires des grands groupes de presse du Québec où chaque journaliste et commentateur aurait l'obligation de suivre la «ligne du parti». De plus en plus, nous avons besoin de lieux de recherche et de débat où l'on puisse analyser, de façon critique, rigoureuse et indépendante, les pratiques médiatiques qui influent grandement sur la qualité de notre vie démocratique. Il semble que les entreprises de presse soient peu enclines à assumer cette tâche.


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Marc-François Bernier est professeur agrégé et coordonnateur du programme de journalisme à l’Université d’Ottawa. Journaliste pendant près de 20 ans, surtout en politique municipale et provinciale à Québec, l’auteur s’est impliqué dans plusieurs débats professionnels. Spécialiste de l’éthique et de la déontologie du journalisme, il détient un doctorat en science politique. Il est membre de l’équipe de recherche Pratiques novatrices en communication publique (PNCP). Il est l’auteur, notamment, de Éthique et déontologie du journalisme et, de L’ombudsman de Radio-Canada: Protecteur du public ou des journalistes? Corédacteur du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, il œuvre également comme expert devant les tribunaux civils dans des litiges mettant en cause les pratiques journalistiques. Il est membre de la Commission canadienne pour l’UNESCO (Culture, communication et information).

Jean-Pierre Charbonneau - La «culture de vautour» des médias


L’auteur reprend ici un texte qu’il a écrit au printemps 2005 pour un dossier sur la démocratie publié par la revue Éthique publique. Il s’agit d’un extrait de l’article intitulé «De la démocratie sans le peuple à la démocratie avec le peuple».

Si les manquements éthiques des membres de la classe politique portent lourdement à conséquence sur la participation citoyenne, il en est aussi de même en ce qui concerne les dérapages déontologiques des membres du pouvoir médiatique. Il ne fait plus aucun doute que la déformation des faits, les raccourcis simplistes et sensationnalistes d’un trop grand nombre de journalistes et de commentateurs autant que les interprétations souvent sarcastiques ou tendancieuses et même parfois outrancières sinon carrément vulgaires contribuent largement à alimenter le cynisme ambiant face à la politique et à ses acteurs, tout en nourrissant la nouvelle culture de la politique spectacle et de l’information spectacle.

Le journaliste américain Walter Lippmann en arrivait au même constat déjà en 1921 quand il déclarait que «la crise actuelle de la démocratie occidentale est une crise du journalisme». Qui peut d’ailleurs nier aujourd’hui que les médias sont organisés d’abord comme des objets de consommation plutôt que comme des instruments d’animation des débats démocratiques? Qui peut nier que, plus souvent qu’autrement, les médias divertissent plus qu’ils n’informent? Qui peut nier que les nouvelles sont fréquemment présentées en pièces détachées sans la mise en contexte qui permet de comprendre le sens véritable des événements? Qui peut nier que l’image prime la réflexion et que le but principal est en général d’étonner et de frapper l’imagination plus souvent et plus fort que la concurrence? Qui peut nier que tous les médias ou presque n’en ont que pour le spectacle et l’émotion primaire? Qui peut nier encore que le journalisme d’enquête est sous-développé au Québec et que la course à l’exclusivité dérape fréquemment chez nous comme ailleurs? Qui peut soutenir que les recherches rigoureuses et sérieuses, dans le respect des personnes en cause, sont la préoccupation première des journalistes affectés à la scène politique autant que de leurs patrons?

Je ne procède pas ici à un règlement de comptes. Je fais simplement miens les constats courageux de quelques journalistes émérites qui depuis un bon moment déjà appellent leurs collègues à un sursaut de conscience morale et dénoncent ce que l’éditorialiste en chef du quotidien La Presse, André Pratte, a osé nommer la «culture de vautour» 1 dans laquelle baignent les médias et leurs artisans.

Mettre le doigt sur la responsabilité du «quatrième pouvoir» quant à la mauvaise presse dont la classe politique est l’objet, et surtout quant à la grande inconscience citoyenne et à la forte incompétence civique, n’a pas pour but de diminuer ou de nier la responsabilité des politiciens ni celle aussi des citoyens eux-mêmes. Il est question cependant de souligner que la vie démocratique est plus que jamais tributaire de l’éthique de ceux qui font le lien entre les citoyens et leurs représentants politiques. «L’information n’est pas un des aspects de la distraction moderne, elle ne constitue pas l’une des planètes de la galaxie du divertissement: c’est une discipline civique dont l’objectif est de construire des citoyens.» 2

1. André Pratte, Les oiseaux de malheur, Montréal, VLB éditeur, 2000.
2. Ignacio Ramonet, La tyrannie de la communication, Paris, Galilée, 1999.

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Jean-Pierre Charbonneau a été journaliste au début des années 70, après avoir complété des études en criminologie à l’Université de Montréal. Ses enquêtes sur le crime organisé l’ont conduit à publier, en 1975, un ouvrage imposant sur l’histoire de la pègre montréalaise. L’année suivante, il se lance en politique active. Élu député du Parti québécois dans Verchères, il sera réélu en 1981 et 1985. En 1989, il réalise un rêve d’enfance en allant diriger un programme de coopération en Afrique, mais la guerre au Rwanda l’oblige à revenir. En 1992, il prend la tête de l’opération de sauvetage d’OXFAM-Québec. De retour en politique en 1994 dans le comté de Borduas, il devient président de l’Assemblée nationale en 1996. En janvier 2002, il est nommé ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et ministre de la Réforme des institutions démocratiques. En avril 2003, il devient porte-parole de l’opposition en matière de sécurité publique, puis de santé. Le 15 novembre 2006, il quitte la politique, 30 ans après sa première élection. Il aura siégé au total pendant 25 ans au Parlement du Québec. Il est aujourd’hui analyste, chroniqueur et conférencier, en plus d’être professeur de Tai Chi Chuan.

Gilles Normand - De la télé sur papier…


De tout temps, dans le métier, il y a eu un prix à payer pour les erreurs ou les inexactitudes. C’était, jadis, une verte remontrance d’un chef des nouvelles ou d’un directeur de l’information, avec parfois menace de renvoi quand des informations n’avaient pas été adéquatement vérifiées, quand le journal avait l’air fou à la suite d’un article dont l’auteur s’était fourvoyé. Les journalistes étaient poussés à la rigueur, ce qui, hélas, n’a pas suffi à écarter de la confrérie certains éléments peu qualifiés.

Si, aujourd’hui, les reporters ont à l’évidence une meilleure préparation académique, nombre d’entre eux doivent travailler dans un contexte qui ne favorisera pas nécessairement la réflexion, surtout si on leur met dans les mains une caméra ou un appareil-photo, ou si on exige d’eux qu’ils alimentent presto le site Internet de l’entreprise. Il faut faire vite, on n’a pas non plus le temps d’attribuer des blâmes.

Jusque dans les années soixante, La Presse appartenait aux mêmes intérêts que l’hebdomadaire La Patrie et la station radiophonique CKAC. À l’époque, il n’est jamais venu à l’esprit de qui que ce soit qu’il puisse y avoir la moindre parenté entre les salles de rédaction de ces trois médias et il n’y en avait pas.

À la même époque, Le Nouvelliste de Trois-Rivières avait pour propriétaire le même que la station radiophonique CHLN. Pas de confusion là non plus entre les salles de rédaction.

Cependant, il faut savoir qu’en ces temps où les journalistes gagnaient peu cher, ceux du Nouvelliste dans les régions voisines et ceux qui couvraient le Palais de justice de Trois-Rivières étaient invités à collaborer à CHLN, soit en relayant des nouvelles, soit en lançant un topo en ondes. Et peu se faisaient prier puisque ce revenu d’appoint, bien que mince, était intéressant. C’était la même chose pour des journalistes de La Presse couvrant la scène politique, à Québec ou à Ottawa, ainsi qu’à l’Hôtel de ville de Montréal et dans ceux de la périphérie. Personne ne trouvait à redire, on ne sentait poindre la moindre menace. On n’a pas vu venir assez tôt.

La télévision, jusqu’alors pas très menaçante pour la presse écrite, faute de salles de rédaction dignes de ce nom, s’est cependant, au fil du temps, révélée une menace: plus souple, plus rapide, en quelque sorte toujours immédiate, elle rendait les articles de journaux caducs. La télévision, désormais, forçait la presse écrite à rivaliser avec elle, l’obligeant à se dépasser.

Puis vinrent les conglomérats regroupant plusieurs entreprises de presse - chaînes de médias écrits et électroniques - au gré de la voracité des investisseurs.

Dans le Québec francophone, deux groupes de presse importants - Gesca et Quebecor - regroupèrent les quotidiens. Ils possèdent aussi d’innombrables périodiques. L’un d’eux a acquis un réseau de télévision, l’autre s’est lancé dans la production télévisuelle. Alors, sous une forme ou sous une autre, on a vu croître le trafic entre les salles de rédaction, convergence que dénoncent les journalistes. Enfin, la majorité d’entre eux!

À ceux qui s’inquiétaient des conséquences négatives possibles sur la qualité de l’information, on a toujours répondu qu’au contraire, ces entreprises devenaient plus solides et pouvaient consacrer des budgets plus importants à l’information qui allait s’en trouver mieux servie.

Mieux servie? On a assisté à des orgies de confusion où on tentait de faire passer certaines promotions pour de l’information, par exemple en faisant des nouvelles pour ploguer des émissions comme la téléréalité et certaines téléséries.

Et que dire de certaines débauches sur toutes les chaînes et tous les réseaux, Le Devoir excepté, où on écoeure l’auditoire ou le lectorat en sautant sur un fait divers autrement anodin qu’on couvre inlassablement des jours durant. Quoi de mieux comme exemple que le traitement incroyablement démesuré qu’on a réservé au cas Myriam Bédard à la fin de 2006 et au début de 2007: deux semaines de mur à mur à la télé comme dans les quotidiens. Plus de temps qu’à l’exécution de Saddam Hussein et à ses conséquences, comme le faisait observer Gil Courtemanche en janvier 2007.

Fais ça court et fais ça vite!

C’est aussi le règne du clip et de la vitesse. L’important, c’est la nouvelle au plus tôt, autant que possible exclusive, qu’importe qu’elle soit inexacte, incomplète ou même, à l’occasion, fausse. On s’ajustera plus tard. À titre d’exemple, une lettre de félicitations adressée à deux journalistes qui avaient eu un scoop mal vérifié, qui s’était retrouvé en une et qui avait été démenti vigoureusement par la suite. L’information qui avait donné lieu à ce texte est restée sans valeur depuis, mais la lettre de félicitations de leur patron disait: «Qui sait si, dans un avenir plus ou moins proche, cette nouvelle ne s’avérera pas. Continuez votre beau travail!» Faut le faire!

Puis, vint Internet. Comme la presse électronique, les journaux ont développé des sites fort bien réalisés et efficaces, qui leur servent, entre autres, à fabriquer leurs vedettes. Les médias écrits n’ont jamais eu autant de titulaires d’un blogue et le nombre de columnists s’est accru de façon quasi indécente. Cela semble servir deux objectifs principaux: cultiver le vedettariat et en profiter bien sûr, puis conforter le point de vue du patron. Ainsi, on peut bien publier une nouvelle qui indispose le boss, on pourra toujours compter sur un escadron de chroniqueurs pour l’interpréter, la réorienter et indiquer ce qu’on doit en penser.

La majorité des journaux tente de rivaliser avec la télévision en faisant de la télé sur papier: gros titres, spread sur deux pages, photos immenses et nombreuses, des colonnes pour les vedettes avec photos démesurées. Il en résulte une diminution du nombre de textes avec des faits (la vraie nouvelle). Tous les journaux du Québec, sauf Le Devoir et The Gazette, n’ont plus de textes en une, laquelle n’est plus qu’une vitrine et rien d’autre. Certains s’en tirent mieux que d’autres au point de vue tirage, mais l’exercice aboutit, dans le meilleur des cas, à remplacer quatre trente sous pour une piastre.

Tous les journaux de la chaîne Gesca ont la même robe en une et tous sont abrités dans le même site Internet, Cyberpresse. Même chose pour les journaux de la chaîne Quebecor: même jaquette et même site Internet, Canoë. On peut bien être d’accord pour partager le même site, s’il peut être de cette façon meilleur. Mais il ne s’agit pas moins là d’une convergence qui gagne du terrain à tous égards.

Que faire?

Les syndicats peuvent-ils faire quelque chose quand ils n’arrivent même pas à convaincre leurs membres de ne pas accepter de propositions qui outrepassent, en primes diverses et en jours de vacances, les dispositions des conventions collectives. Le petit statut particulier reste affriolant…

Des colloques comme celui-ci sont éminemment utiles pour développer une mobilisation et obtenir, au bout du compte, que les journalistes obtiennent un droit au chapitre plus réel dans les entreprises de presse. Il faut favoriser la réflexion, en parler et en parler encore.

Il est clair que les propriétaires des entreprises de presse font du pognon. C’est d’ailleurs leur objectif et il ne s’agit pas ici de s’opposer au profit. L’ex-magnat de la presse, Conrad Black, n’a-t-il pas un jour d’avant ses déboires donné l’heure juste: «C’est un bon commerce!»

Mais à force de rétrécir l’espace et l’énergie consacrés à l’information, il ne restera plus grand-chose pour favoriser l’exercice de la démocratie, surtout si on manipule cet exercice. Combien de fois n’a-t-on pas entendu un chef d’antenne jouissant d’un prestige peu commun présenter une nouvelle en disant le contraire de ce que le topo énonçait!

Le journalisme est sans conteste un rouage majeur de l’exercice démocratique. On peut dire sans se tromper que les partis politiques et les gouvernements seraient tout ce qu’il y a de plus dominateurs s’il n’y avait le chien de garde indispensable que constitue la presse. Et comment pourrait-on contrer la corruption? Déjà qu’ils font tout pour cacher l’information le plus possible, sauf quand il s’agit de couper un ruban…


***
Gilles Normand a été journaliste pendant 40 ans, dont 38 à La Presse. Embauché au quotidien de la rue Saint-Jacques en mai 1967, il a couvert l’exposition universelle, véritable université à ciel ouvert. Sa longue carrière lui a fourni l’occasion de connaître tous les rouages du métier, depuis les faits divers jusqu’à la politique, en passant par les cours de justice, la chronique portuaire, les informations générales, les arts et la culture, sans parler d’un séjour de près de cinq ans au pupitre. Il est devenu correspondant parlementaire à Québec au début de 1989, fonction qu’il a quittée au moment de prendre sa retraite du journalisme, en juin 2005, pour se consacrer à l’écriture romanesque.

Bernard Landry – Prévenir les dérives de la liberté de presse


Il est de plus en plus courant de décrire l’aventure humaine comme une longue marche vers la liberté et il faut reconnaître, en évitant toute généralisation triomphaliste, que cette façon de voir est pertinente. Cela est vrai pour les individus, les nations et leurs divers comportements. La liberté de presse est évidemment au cœur de ce cheminement. Elle est devenue incontournable dans les démocraties avancées et elle chemine avec les autres libertés ailleurs.

Cependant, comme l’illustrent certains dérapages de l’économie de marché, la liberté elle-même risque de mener à de graves excès si elle n’est pas régulée. Il en va de même pour la liberté de presse. Plusieurs êtres humains sont morts pour sa conquête et sa défense. Ce la ne veut pas dire qu’elle doive être absolue.

Comme ceux qui respectent l’économie de marché ont le devoir de la surveiller et de la moduler pour sa propre sauvegarde, les garants de la liberté de presse doivent en prévenir les dérives potentielles à travers l’action collective, qu’elle soit étatique, citoyenne ou corporative.

Particulièrement dans un contexte où un capitalisme débridé peut s’allier à sa guise avec les métiers de l’information et les entraîner dans ses méandres. Être informé, c’est être libre, mais cela n’a jamais voulu dire que l’anarchie peut être la mère de la liberté.


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Bernard Landry a acquis au fil de sa carrière une grande notoriété au Québec, assumant d’importantes fonctions au sein du gouvernement dont il a été premier ministre de 2001 à 2003. Après des études en droit et en économie et finance à l’Université de Montréal, il a poursuivi sa formation à Paris à l’Institut d’études politiques et au ministère français des Finances et des Affaires économiques. Il a pratiqué le droit à Montréal et Joliette de 1969 à 1976 avant d’être élu député du Parti québécois. Après un premier passage remarqué à l’Assemblée nationale jusqu’en 1985, il devient professeur à l’UQAM. Il revient en politique active en 1994. Il occupe alors le poste de vice-premier ministre jusqu’en 2001, tout en ayant les plus hautes responsabilités dans des ministères à vocation économique et internationale. Après avoir pris la relève au poste de chef du Parti québécois et de premier ministre, il est réélu en 2003 et devient chef de l’opposition officielle. Depuis sa démission en 2005 et son retour à l’enseignement, Bernard Landry demeure présent sur la scène de l’actualité québécoise puisque ses opinions et ses commentaires sont toujours recherchés.

Stanley Péan - Quels intérêts sert le journalisme aujourd’hui?


Informer est-il encore d’intérêt public? nous demandent les organisateurs de ce colloque portant sur Les médias et la démocratie, avec une justesse criante. Poser cette question, c’est inviter à cette réflexion plus que nécessaire sur la pertinence du travail journalistique dans une société livrée aux lois néolibérales du marché selon lesquelles tout produit, fusse-t-il matériel, culturel ou intellectuel, se voit d’office réduit au seul statut de bien de consommation, et sa production assujettie aux caprices de l’offre et de la demande.
Quels intérêts servent donc les journalistes d’aujourd’hui, au Québec ou ailleurs, quand leur parole est délibérément amalgamée, assimilée à l’incessant bavardage public forcément en vogue à l’heure actuelle dans l’agora médiatique, selon les principes d’un relativisme absolu qui permettent de laisser entendre que les états d’âme narcissiques de n’importe quelle personnalité en vue du showbiz relèvent de l’information, voire du commentaire éditorial? Sous le fallacieux prétexte de démocratiser le débat public, les patrons des médias de masse entretiennent sciemment la confusion entre les genres, qui vise à rendre systématiquement divertissante, donc inoffensive, voire anesthésiante, l’information dont les enjeux et la fonction devraient pourtant, idéalement, se situer ailleurs.
Ailleurs? Mais où donc?
Dans les pages de Caliban, éphémère revue fondée en 1947 par Jean Daniel, éditorialiste au Nouvel Observateur, l’écrivain, philosophe et journaliste Albert Camus (Nobel de littérature, 1957) adressait aux médias français de son temps la critique acerbe qui suit, dont on jurerait qu’elle pourrait concerner notre scène médiatique contemporaine:
«Loin de refléter l’état d’esprit du public, la plus grande partie de la presse française ne reflète que l’état d’esprit de ceux qui la font. À une ou deux exceptions près, le ricanement, la gouaille et le scandale forment le fond de notre presse. À la place de nos directeurs de journaux, je ne m’en féliciterais pas: tout ce qui dégrade en effet la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. Une société qui supporte d’être distraite par une presse déshonorée et par un millier d’amuseurs cyniques, décorés du nom d’artistes, court à l’esclavage malgré les protestations de ceux-là mêmes qui contribuent à sa dégradation.»
S’engager comme résistant par rapport aux modes et au discours consensuel, telle était l’une des fonctions essentielles qu’attribuait l’auteur de L’Homme révolté à l’intellectuel et au journaliste, ainsi que le rappelle avec brio Jean Daniel dans son essai Avec Camus: comment résister à l’air du temps. Pour Daniel, comme pour Camus, l’information est indissociable d’une culture qui inclut philosophie et littérature, et exclut le racolage. En face des sirènes de l’audimat, dont le chant conforte surtout les intérêts privés, journalistes et intellectuels se doivent de s’opposer en imperturbables champions de la réflexion, du rejet de l’arbitraire et de l’absolu, et enfin du scepticisme salvateur.
À cette condition, et à cette condition seulement, peuvent-ils servir la démocratie et le bien commun.
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Stanley Péan est président de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois depuis décembre 2004. Romancier, il a grandi au Québec où ses parents ont immigré l'année de sa naissance, à Haïti, en 1966. Il prépare actuellement une thèse de doctorat dans laquelle il compare les diverses représentations du vaudou dans les littératures haïtienne, américaine et québécoise. Chroniqueur littéraire à la radio et à la télévision, il collabore aussi régulièrement à de nombreuses revues culturelles et littéraires. Il a également participé à de nombreux colloques et animé plusieurs rencontres avec d'autres écrivains, ainsi que des ateliers d'écriture pour jeunes et moins jeunes, au Québec et en France. Auteur de plusieurs recueils de nouvelles et de romans pour lesquels il a reçu des prix littéraires, il est aussi rédacteur en chef du magazine Le libraire, consacré au monde du livre.

Liza Frulla - Quand média et démocratie se confondent


Alors où est la nouvelle? Dans le clip de huit secondes au téléjournal? Dans la mauvaise photo bien choisie pour la une? Ou plutôt une phrase choc, un titre choc? Un titre qui vend. Ou une phrase citée hors contexte. Pourquoi pas un extrait d’une source anonyme? Ou même la petite phrase assassine qui n’a pas rapport.

Encore mieux: donnons leur du «human». Du plus vrai que vrai. Une retenue de sanglot en direct, une confidence sur l’oreiller de l’animatrice le soir à la télé ou une pitrerie à Infoman. Un bonnet sur la tête, quelques notes de sax en direct à l’émission du soir, une visite de l’humble résidence ou un sketch dans une tente avec des cowboys. On peut aussi «peopleliser» le débat politique. On en raffole de plus en plus. Malheureusement, bien des gens considèrent cela comme de l’information.

Dans un topo à la télé ou un article dans le premier cahier du journal, on entend surtout les commentaires ou on lit surtout les opinions du journaliste, tout en minimisant la présence de la personne pour laquelle nous serions supposés de voter. On a le droit à l’humeur, à «l’éditorialisation» de la nouvelle. Les rôles sont inversés. Le journaliste, le chroniqueur sera la vedette à la place de la vedette.

Pensez-y! Comment pouvons-nous savoir ce que pensent nos politiciens des enjeux de la mission en Afghanistan, de la déstructuralisation de notre industrie manufacturière ou des problèmes non résolus des urgences du CHUM si on ne les laisse parler que durant un court clip au téléjournal. Dans la campagne présidentielle américaine actuelle, nous en sommes mêmes rendus à des clips télé de huit secondes, top chrono. Un peu court pour expliquer comment régler les problèmes en Irak et au Moyen-Orient ou la récession imminente.

On nous dira que le journaliste est là pour expliquer l’enjeu. C’est vrai. Mais plus souvent qu’autrement, celui-ci ou celle-ci interprète la nouvelle, la colore, la simplifie, l’édulcore, la distille. La loi du tirage et des cotes d’écoute prévaut. Vite, vite, vite. Pas le temps d’approfondir, de faire de la recherche. On coupe les détails que l’on juge superflus. Espace et durée obligent. On favorise les anecdotes, le superficiel, le spectaculaire, la controverse, le négatif, versus l’explication des enjeux d’une politique ou le reportage d’un événement.

Et après tout cela, on se demande pourquoi le citoyen déserte l’information dite traditionnelle. C’est parce que les citoyens réagissent. Et ils sont de plus en plus nombreux à aller chercher leur information sur d’autres sources plus diversifiées, moins biaisées, moins éditorialisées, plus complètes. Il ne faut pas perdre de vue que les citoyens ont le droit de savoir. Ils ont aussi le droit de choisir leur source d’information. Et, ne l’oublions surtout pas, ils ont aussi le droit de ne pas savoir.

La démocratie, c’est le pouvoir du citoyen. Non pas celui du politicien. Ni celui des médias. La démocratie, c’est faire confiance au citoyen et non pas le prendre par la main, lui dire ce qu’il est bon de penser ou de ne pas penser, tirer des conclusions à sa place.

L’inverse de la démocratie c’est l’infantilisation du citoyen. Les médias pensent de plus en plus qu’ils peuvent faire une meilleure analyse que ce citoyen, qu’ils peuvent mieux comprendre les événements et les véritables enjeux. Les médias se placent en situation de juge et partie. Ils choisissent ce que les citoyens ont le droit de savoir et comment ils le sauront. On ne rapporte plus la nouvelle, on traite la nouvelle. Si on ne sait pas comment la traiter, on sonde. Et on sonde. Et on sonde. Ça fait des gros titres et ça vend de la copie. Et ça nourrit la concurrence entre les médias et les patrons sont contents.

Ce qu’il manque de plus en plus dans les médias, c’est de l’information non biaisée, non éditorialisée et plus diversifiée. L’inverse de la convergence. De l’information fouillée, documentée, réfléchie. De la véritable information qui n’est pas spectacle. De l’information comme la plupart des journalistes aimeraient la faire. Quand on la retrouvera, les citoyens reviendront.


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Liza Frulla a mené une carrière remplie autant dans le monde des communications et des médias que dans le monde politique. Après avoir été la première femme journaliste sportive au Québec, elle devient directrice du marketing de la Brasserie Labatt, puis directrice générale de CKAC. Elle fait le saut en politique provinciale en 1989 et devient ministre de la Culture et des Communications. En 1998, elle quitte la politique pour animer pendant quatre ans une émission quotidienne à Radio-Canada. En 2002, élue au Parlement canadien, elle est nommée ministre du Développement social, puis ministre du Patrimoine et ministre responsable de la condition féminine. Liza Frulla est aujourd’hui professeure associée au département de sciences politiques de l’Université de Sherbrooke et analyste politique pour Le Club des Ex à RDI. Membre de plusieurs conseils d’administration, elle a aussi été récipiendaire de l’Ordre de la Pléiade.

Anne-Marie Voisard – Internet : du pour et du contre (deuxième texte)


«Toi qui aimes les livres et Gabriel Garcia Marquez, voici quelque chose d'impressionnant qui ne manquera pas de t'intéresser. Tu savais qu'il est au plus mal actuellement? Je viens de l'apprendre dans un diaporama qui contient son testament. Je te l'envoie.» Le courriel me vient d'une amie enseignante, qui tient la nouvelle d'une collègue.

L’information est plausible, puisque l'auteur de Cent ans de solitude aura 80 ans en mars. Sauf que, vérification faite, je la crois fausse. Du moins, je n'ai rien trouvé qui puisse la confirmer. Rien, sinon ce diaporama qu’elle me fait parvenir, signé de maigres initiales, ce qui revient à dire anonyme. Dans Eureka, les plus récentes mentions du nom de l'écrivain colombien concernent son roman porté à l'écran, L'amour au temps du choléra.

Cette histoire survient au moment où je lis les textes fort pertinents de Pascal Lapointe sur le site consacré au prochain colloque Médias et Démocratie. Elle donne à voir qu'Internet a ses limites. Que des gens hautement scolarisés, à l'affût des nouvelles, peuvent facilement se laisser embobiner. Qu'en est-il de ceux que le chercheur Henry Milner, dans son texte tout aussi passionnant et remarquablement bien documenté, classe parmi les analphabètes fonctionnels? C'est plus du quart des Québécois (28%), selon les statistiques.

Voyant cela, je me dis que, dans un monde idéal, informer devrait rester le privilège de ceux dont c'est le métier. Qu’on ne devrait pas autoriser n’importe qui à s'improviser journaliste. D'autant plus que des candidats sérieux sortent des universités. Et que plusieurs médias organisent des stages qui donnent la préparation immédiate.

Mais c'est rêver en couleur. Internet est accessible à tous. Il offre le pire... et le meilleur. Parfois je me demande comment on réussissait à travailler avant l'arrivée de l'ordinateur. Je ne parle pas ici que du clavier et de l'infinie possibilité qu'il offre de fignoler notre prose jusqu'à sa publication. Merveilleux outil de documentation, le Web est quasi sans limites, une fois qu'on a réussi à l'apprivoiser. Il répond à nos questions dans le temps de le dire. La rapidité n'est pas la moindre de ses qualités.

Je revois nos vétustes centres de documentation, et leurs chemises jaunies, qui sont aujourd'hui relégués dans les sous-sols. Nous n'avions que ça, avec les microfilms, en guise d'archives. Et c'était long à consulter. Nos articles forcément devaient s'en ressentir. Il fallait écrire quotidiennement. Au fil des différentes éditions, les infos suivaient. On faisait du mieux qu'on pouvait avec les moyens d'alors.
Les temps ont bien changé. L'accès aux sources, via Internet, ne laisse plus d'excuses à une information tronquée, voire incomplète. Mais attention! Il ne suffit pas de maîtriser l'instrument pour prétendre à du travail de qualité. Hier comme aujourd'hui, le bon journaliste n'est pas celui qui reste dans son bureau, les pieds au chaud dans ses pantoufles. Il sort.

Je relis Gilles Lesage. «Les faits, d'abord et avant tout», écrit le journaliste chevronné en conclusion d'un dossier publié dans la revue RND, et reproduit sur le site réservé au colloque. Il a parfaitement raison. De même aussi lorsqu'il en appelle à «l'exactitude et la précision des faits, d'une part, et la vérification et la rigueur, de l'autre...»

Pour ça, on a tout intérêt à aller sur le terrain, constater de visu. Internet est un facilitateur extraordinaire. Mais il ne remplace pas le contact direct avec les personnes qu'on interroge, et qui nous font confiance. Il faut apprendre à les écouter, à saisir au-delà des paroles. L'émotion qui se cache derrière, loin d'être négligeable, éclaire les faits. Elle aide à mieux informer le public.


***
Anne-Marie Voisard, qui demeure active comme journaliste indépendante, a pris sa retraite du quotidien Le Soleil en 2006. Elle y avait été embauchée en 1961 pour travailler aux pages féminines. Après avoir quitté le journal quelques années pour compléter un bac en pédagogie, elle y revient et se retrouve, au moment de la création des cégeps, affectée à l'éducation. Comme journaliste, elle a touché à tout: littérature, éditorial, dossiers à caractère social... Au cours de ses six dernières années au Soleil, elle a supervisé les stages en journalisme. De sa carrière, on retient deux faits parmi d'autres: en 1980, elle reçoit le prix Judith-Jasmin pour une série d'articles, Alcool et Travail. Pour elle, c'est un baume, au terme d'une bataille qui l'a menée jusqu'en Cour suprême. La cause? Un texte jugé trop critique par le directeur de l'information d'alors, qui lui en avait substitué un de son cru.

Pascal Lapointe – Une piste de solution (quatrième texte)


Résumons. De l’ensemble des textes parus jusqu’ici sur ce blogue se dégagent un grand axe et deux petits:

1) Les médias se sentent libérés de toute responsabilité civique. Autrement dit, défendre l’intérêt public, ce n’est plus leur tasse de thé. Leurs intérêts corporatifs, écrit Laurent Laplante, ont pris le dessus. Il en résulte, ajoute François Demers, que des questions fondamentales à l’avenir de notre société sont complètement occultées, sans doute parce que pas assez «vendeuses». On voit mal comment les journalistes pourraient infléchir cette tendance, d’autant plus qu’ils sont nombreux à en profiter - surtout les vedettes, et ce n’est pas un hasard si le culte de la vedette a pris autant d’importance. Si on veut que les médias prennent plus à coeur « l’intérêt public », il n’y a que deux voies: une lente conscientisation de la population (qui y travaille?) ou des réglementations. Réglementations qui, par exemple, propose Isabelle Gusse, obligeraient les médias à insuffler davantage d’infos d’intérêt public. Ou favoriseraient les médias indépendants. Ou même, limiteraient la concentration de la presse, ajoute Anne Pineau.
2) L’information est de plus en plus rapide. C’est le règne du clip, écrit Gilles Lesage, ce qui suppose moins d’enquêtes, moins de suivis et moins d’explications. Là aussi, on voit mal comment les journalistes pourraient infléchir la tendance, surtout les jeunes qui cherchent à se tailler une place. Nombreux sont ceux qui, de toutes façons, souscrivent à l’argument selon lequel c’est la logique capitaliste qui détermine le règne du clip, ce qui nous renvoie à l’axe numéro 1.
3) Il y a aussi le problème des lois d’accès à l’information, de plus en plus grugées par la lourdeur du processus et la culture d’impunité, souligne Anne Pineau. Une réglementation plus favorable aux médias s’impose. Mais un tel progrès, aussi souhaitable soit-il pour l’intérêt public, n’affecterait ni la logique capitaliste ni la culture du clip.
Les journalistes québécois ont souvent bloqué sur des propositions de réglementer leur métier, y craignant chaque fois la grosse patte griffue de l’ours gouvernemental.

Pour éviter cette impasse, n’y aurait-il pas d’autres voies juridiques sur lesquelles un consensus serait facile à obtenir? Et sur lesquelles le poids du nombre, avec un lobbying efficace, aurait un impact plus rapide? Eh bien justement, oui, il y en a une: l’amélioration des conditions de travail.

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Pascal Lapointe est journaliste depuis une vingtaine d'années. Il est toujours demeuré près du milieu de la pige, comme pigiste lui-même, comme rédacteur en chef de l'Agence Science-Presse, petit média à but non lucratif et porte d'entrée pour les débutants, où il a contribué à former de nombreux journalistes, et à titre de membre du conseil d'administration de l'AJIQ dans les années 1990 et 2000. Il est co-auteur du livre Les nouveaux journalistes: le guide. Entre précarité et indépendance (PUL, 2006).

François Demers – Allons à l’essentiel (deuxième texte)


La façon dont est formulée la question-guide du colloque «Informer est-il encore d’intérêt public?» et son thème officiel «Médias et démocratie» lancent la discussion dans toutes sortes de directions. Cela risque de faire perdre de vue l’essentiel, comme le montrent les textes de réflexion déposés sur le site.

D’autant plus qu’au niveau philosophique, normatif, éthique, les réponses à ces questions sont depuis longtemps balisées, sinon banalisées par leurs répétitions multiformes:
OUI l’information est d’intérêt public…
OUI les médias, en contexte démocratique, servent la démocratie, c’est-à-dire l’expression d’opinions en public et leur discussion. EN PARTIE, plus ou moins selon les contextes.

Passons donc à l’essentiel.

L’essentiel, pour moi, c’est la transformation de l’industrie médiatique (transformation accélérée en Amérique du Nord) avec le tassement des médias traditionnels/généralistes bâtis sur l’écrit ou l’électronique, pour faire place à des médias émergeant du numérique et des télécommunications. L’Internet est l’emblème de ce changement.

Sur le petit marché francophone canadien, trois effets immédiats sautent aux yeux:
1) le tassement des médias généralistes, qui les pousse encore plus avant dans des conglomérats, ce que le bond en avant de la concentration de la propriété au tournant du siècle a illustré de manière exemplaire;
2) la réorganisation du travail, qui entraîne la naissance de nouveaux métiers (l’édimestre par exemple) et la transformation de métiers existants (voir notamment du côté du journalisme). Cette réorganisation est symétrique à celle qui touche les autres secteurs de l’économie et de la production. Dans les industries culturelles, elle est marquée par la montée de l’entrepreneuriat individuel (la pige et les emplois atypiques);
3) la diversification des vitrines/boutiques offrant de l’information (avec, côté réception, fragmentation des publics, et côté production, multiplication des médias/sites).

Il y d’autres effets plus secondaires tels le glissement accentué des contenus des médias généralistes vers les formules des médias «populaires» (la peopolisation, la vedettarisation des chroniques, la mise en scène du faux-vrai spontané des gens ordinaires, etc.), la fragilisation de Radio-Canada dont le poids dans le paysage médiatique diminue constamment (sans compter sa dérive propre vers le populaire), la convergence journalistique façon Citizen K, etc.

Est-ce que ces changements nuisent à la démocratie ou l’aident? La réponse dépend sans doute de la démocratie à laquelle on pense.

Est-ce que l’information qui circule dans cet appareil médiatique en transformation est encore d’intérêt public? Sans doute, au total.

Mais finalement, l’essentiel, l’important, le plus pressant, me semble-t-il, le prioritaire même, n’est-ce pas la réorganisation du travail (l’effet 2)? Que faire pour promouvoir les solidarités à l’intérieur du secteur des médias et avec les autres travailleurs, pour la recherche de solutions originales communes et contribuer ainsi concrètement à l’intérêt public?


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FRANÇOIS DEMERS est professeur titulaire au Département d’information et de communication de l’Université Laval (ville de Québec) où il enseigne depuis 1980. Auparavant, il avait été journaliste professionnel pendant 15 ans. Il obtenu un doctorat en science politique (Ph.D.) en 2000; sa thèse portait sur l’émergence de nouveaux quotidiens dans la ville de Guadalajara au Mexique à la faveur des débats relatifs à l’Aléna. Il est l’auteur de deux livres, dont Communication et syndicalisme - des imprimeurs aux journalistes (Éditions du Méridien, automne 1988, 203 pages) et co-responsable de trois ouvrages collectifs. Il a publié des articles savants et des chapitres de livres au rythme moyen de trois par année depuis 1980.
<
http://www.com.ulaval.ca/personnel/professeurs/francois_demers/index.php>
Il a créé un cours à distance totalement sur Internet portant sur le journalisme en ligne
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http://cyberjournalisme.com.ulaval.ca>.
Il est membre de l’équipe de recherche : Pratiques novatrices en communication publique (PNCP).
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http://www.pncp.ca>.
François Demers a été doyen de la Faculté des Arts de 1987 à 1996.

Michel Nadeau – Les enjeux de la migration vers l’internet pour les médias et la démocratie


Comment les historiens du XXIème siècle décriront-ils l’impact d’internet dans l’univers des médias traditionnels? Sur tous les fronts, la communication numérique modifie le temps et le budget des lecteurs et auditeurs consacrés aux médias.

Le déclin de la presse écrite – seuls les hebdos locaux semblent échapper à la vague – se voit dans tous les créneaux: quotidiens, magazines… La télévision généraliste en arrache avec la prolifération des canaux spécialisés. La radio privée vit une phase incroyable de concentration autour d’Astral et de Corus.

L’accès croissant des citoyens à internet va amener une redéfinition du rapport entre les médias et la démocratie. Dans l’univers des médias du papier et des ondes, des chefs de
pupitre décident qui va parler… Pour avoir accès à l’agora, il faut attirer des journalistes à une conférence de presse ou prendre la plume pour essayer de faire passer son texte dans la page des «idées».

Internet redéfinit sans cesse le périmètre des publics. La télé et la radio émigrent en douceur vers l’ordinateur. L’univers virtuel permet des regroupements instantanés sans les limites qu’imposent la géographie, la distribution des exemplaires, le rayonnement des ondes…

Profitant jadis de la nuit pour passer de la rédaction à la porte de ses lecteurs, le quotidien version papier ne pourra plus suivre des sites offrant de l’information 24 heures sur 24.
L’information devient abondante, instantanée et souvent gratuite. Le rôle des professionnels de l’information, qui «traitaient» la nouvelle, devra être redéfini.

Rappelons que la démocratie n’est pas l’exercice du droit de vote mais l’accès au débat avant le vote. Les citoyens bâtissent eux-mêmes leurs médias et des réseaux à la hauteur de leurs intérêts; mais le web ne fournira jamais le jugement nécessaire pour évaluer et classifier cette mer d’information. Des experts seront nécessaires pour faire des liens entre des faits, pour apporter une solide crédibilité derrière certains propos.

Cette explosion de la communication a entraîné une baisse de la qualité des communications; les auteurs de blogs se doivent quotidiennement, souvent au détriment de la réalité et de la vérité, de trouver la formule percutante et les propos cassants pour susciter le débat. Mais le goût de l’information solide, fiable, intéressante et inédite ne disparaîtra pas; le défi des journalistes sera de poursuivre leur quête du fait nouveau et de l’analyse critique dans un environnement un peu plus complexe mais offrant des moyens beaucoup plus vastes.

À l’heure des nouveaux médias, le risque pour la démocratie est qu’elle ne demeure que virtuelle et que les citoyens ne cessent de s’informer sans trouver le temps de s’organiser par l’action pour changer ce qui doit bouger dans la société.


***
Michel Nadeau est directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques depuis septembre 2005. Après avoir travaillé de 1974 à 1984 au Devoir en tant qu’éditorialiste et responsable des pages financières, il a occupé, pendant près de 20 ans, différentes fonctions à la haute direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec. M. Nadeau est également membre de différents conseils d’administration de sociétés privées et d’organismes sans but lucratif.

Jici Lauzon - Télévision et démocratie: la vitesse tue!


Selon Influence Communication, une entreprise qui calcule le poids médiatique des nouvelles dans les médias québécois, 85% des nouvelles disparaissent au cours des 24 premières heures. De plus, comme à peu près 80% du contenu des émissions du matin proviennent des quotidiens, «on peut facilement croire que l’ensemble des médias rapporte systématiquement les mêmes nouvelles sous le même angle», de dire le président de la firme, Jean-François Dumas. Une des conclusions de cet observateur des médias est que «nous sommes plus informés que jamais, mais avec beaucoup moins de profondeur».[1] Même le web ne garantirait pas la diversité de l’information puisqu’on aurait surtout tendance à visiter les sites des médias traditionnels.

Je suis resté accroché sur un livre de Neil Postman intitulé Se distraire à en mourir (1987). Un livre assez critique à l’endroit de la télévision et de nos habitudes d’écoute. Selon cet auteur, la politique, l’éducation, la religion, le journalisme et, au bout du compte, la démocratie, tout cela serait devenu une affaire de showbizness grâce à la télévision. N’est-ce pas ce qu’admet Stéphane Dion lorsqu’il se dit coupable de ne pas avoir fait assez d’émissions de variétés pour qu’on vote pour son parti? La télévision est experte pour amuser le monde. Comme humoriste, je n’ai bien évidemment jamais rien eu contre cela pendant une bonne dizaine d’années. Mais j’avoue qu’aujourd’hui, plus mûr et plus sage peut-être, je trouve cette situation pour le moins troublante. Surtout si on admet que la plupart des gens prennent leurs nouvelles et s’informent de l’état du monde via la télévision.

La télé tient tellement à ce qu’on la regarde et l’écoute qu’elle en devient suspecte. Restez-là, ne manquez pas, revenez-nous, soyez-y, c’est un rendez-vous, dans quelques instants, ne bougez pas… Quand vient finalement le message de ParticipAction, comment pourrais-je y croire? La télé vous veut assis dans le salon et non pas debout à vous battre pour faire valoir vos idées. En moyenne, elle réussit cet exploit chez plusieurs d’entre nous une vingtaine d’heures par semaine.

Pour faire une histoire courte

Et ceux qui font la télé ont si peur de nous perdre qu’ils ont accéléré le rythme du débit de paroles, d’images, de sons et de messages. Pour ne pas se faire zapper on parle vite, on change d’angle de vision aux cinq secondes, on abolit les temps morts. Ouvrez grand les yeux et les oreilles, la télé est un manège très excitant! On peut attribuer aux publicités une part de responsabilité dans cette accélération. Alors qu’elles étaient d’une durée moyenne d’une minute dans les années 1960, elles sont passées à 30, 15, 10, 5 et même une seconde dans certains pays européens aujourd’hui. Les acteurs, les animateurs et leurs chroniqueurs, tous doivent donc en dire de plus en plus, en de moins en moins de temps. J’entends souvent en entrevue l’animateur dire en quelques secondes s’il-vous-plaît, brièvement s’il-vous-plaît… Les nouvelles sont même pré-zappées. La dépêche n’a jamais si bien porté son nom!

On assiste aussi selon moi à un rétrécissement du temps consacré au discours public. Le temps alloué aux sujets d’importance est minime comparé aux heures investies dans le divertissement. Et la longueur des phrases de nos politiciens en fournit un exemple. Une étude lexicométrique nous apprend que René Lévesque employait en moyenne 33,4 mots par phrase. Bernard Landry 25,6, Lucien Bouchard 23,7. Jean Charest utilise en moyenne 20,5 mots par phrase… Sur le web, le texte idéal devrait se lire en moins de 10 secondes.

Alors, vu le peu de temps et la rapidité avec lesquels on doit composer pour faire passer son message, n’est-il pas excusable d’avoir recours au sensationnalisme, au storytelling? C’est l’effet 2X4 dont parle le journaliste David Shenk dans Data Smog (1997), un essai qui traite des effets troublants du déluge d’informations sur nos vies. Plus la société devient complexe, plus on recherche la simplicité. La popularité du clip humoristique, la facilité du slogan politique, la vulgarité dans la tribune téléphonique. Les premiers encenseurs du médium rêvaient d’une agora de penseurs qui viendraient éduquer les masses. On se retrouve avec un forum où le combat est à l’honneur bien plus que le débat. Tout est quiz, compétition, top dix, palmarès…

J’ai vu un jour cette affiche qui voulait mettre en évidence, cyniquement, la différence entre le régime communisme et la démocratie. L’expression qui résumait l’esprit du régime communiste était «Ta gueule!», celle qui résumait la démocratie disait «Cause toujours!». Je serais aujourd’hui porté à donner raison à l’auteur. Le monde ressemble de plus en plus à une tour de Babel!

[1] Tiré du journal Le Devoir, 24 décembre 2007, dans l’article de Paul Cauchon.

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Jean-Claude « Jici » Lauzon est un véritable touche-à-tout. Comme humoriste, il participe vers la fin des années 80 aux Lundis des Ha ! Ha! et devient rapidement un habitué du Festival Juste pour rire. On le retrouve ensuite à 100 limite, une émission d’actualité humoristique à TQS. Sur scène, Jici écrit et donne plus de 500 représentations de deux one man shows. Début 1990, il anime pendant trois saisons une émission de variétés intitulée Métropolis, à Radio-Canada. Comme comédien, il met ses talents au service de cinéastes (La conciergerie des monstres, Deux secondes) et de réalisateurs télé (Jasmine, Paparazzi, Virginie). Enfin, c’est à Canal Vie et au 98,5 FM que Jici Lauzon se fait les dents comme chroniqueur. Il présente actuellement le magazine Chasseur de mystères au canal Historia. En 2006-2007, à Télé-Québec, à titre de collaborateur à BAZZO.TV, il a présenté régulièrement des essais sur les communications et les médias, les sujets au cœur de sa thèse de maîtrise (UQAM) qui porte sur les effets du zapping sur nos conversations. Il a réalisé au printemps 2007 un documentaire intitulé Le procès du zapping diffusé à Canal D.

Daniel Marsolais - Il y a toujours de l’avenir pour le plus beau métier du monde


La plupart des grands bouleversements qui ont marqué l’histoire du merveilleux monde des communications au Québec ont laissé, dans la mémoire de certains d’entre nous, une tenace odeur de poudre.

Qu’importe leur nature ­- technologique ou autre -, ces périodes de perturbation et d’agitation ont en effet souvent dépassé le stade de l’accrochage entre patrons et syndicats pour dégénérer en de longs et épuisants conflits de travail.

Ces affrontements ont laissé d’amers souvenirs dans l’esprit de certains, mais ils ont eu le mérite de pacifier un tant soit peu les relations de travail dans nos médias. Dans les grands journaux, par exemple, le développement de la composition électronique, qui était à l’ordre du jour dès le milieu des années 1960, a scellé le sort de la plupart des métiers de l’imprimerie. À La Presse, avec l’appui solidaire des journalistes et autres employés syndiqués, nos anciens collègues typographes et pressiers ont réussi à civiliser le processus qui allait entraîner rien de moins que leur propre… disparition. C’est donc sans grand enthousiasme, mais tout de même dans l’honneur, qu’ils ont conclu leurs «arrangements préalables». Une autre page venait d’être tournée. Et pour une fois, bravo, sans effusion de sang.

Tout cela, bien sûr, c’est de l’histoire ancienne. Mais rappelons-nous toujours que l’histoire a la fâcheuse habitude de se répéter.

Avec les plus récentes transformations survenues dans ce monde en perpétuel mouvement qu’est l’univers des communications, c’est désormais au tour des journalistes d’être confrontés au syndrome des nouvelles technologies de la communication et de l’information. Et quoi de plus naturel, alors que nous sommes en pleine période de transition, que de se questionner sur l’évolution de notre métier et de ses perspectives d’avenir.

Ce qui me vient spontanément à l’esprit quand j’observe l’évolution de l’univers «mcluhanesque», c’est l’incroyable onde de choc provoquée par l’explosion de l’internet. En quelques années seulement, le web ne s’est-il pas rapidement imposé comme une grande agora électronique où les citoyens, confortablement installés dans leur demeure, peuvent désormais mutuellement échanger des informations, exposer et confronter leurs points de vue, etc.?

Plus encore, les journalistes professionnels d’aujourd’hui, qu’ils soient de la presse écrite ou électronique, ne se voient-ils pas concurrencés par une nouvelle génération de journalistes-citoyens ou de reporters du dimanche, qui, avec leurs caméras numériques, leurs téléphones portables, saisissent eux-mêmes les scènes de l’actualité qu’ils diffusent aussitôt sur le web? N’assistons-nous pas, imperceptiblement, à l’émergence d’une nouvelle forme de journalisme? Un journalisme «hors normes» n’obéissant qu’à cette seule et unique règle si typique de notre époque: COMMUNIQUER à tout venant photos, idées, impressions, etc. sur tout et sur rien...

Certains, et je n’en suis pas, vont même jusqu’à se demander si cette «presse alternative», décrite aussi comme le contre-pouvoir du quatrième pouvoir, ne serait pas en train de devenir la solution de remplacement à la presse traditionnelle… Mais ça c’est une autre histoire et un excellent sujet de réflexion pour un autre colloque...

Quoi qu’il en soit, ce qui est tout à fait extraordinaire avec ce nouvel outil de communication, c’est son immense souplesse, sa très grande facilité de publication, sa non moins grande liberté éditoriale et sa formidable capacité d’interaction avec les lecteurs.

Et pour ceux qui, à juste titre, ont toujours été préoccupés par le pluralisme des sources d’information, ne trouvent-ils pas ici un outil non traditionnel qui contribue à faire avancer un tant soit peu la démocratie?

On dit, pour en vanter les mérites, qu’il fait éclater un système qui a toujours fonctionné à la verticale ( l’émetteur d’informations tout en haut de la pyramide et le récepteur en bas) et qu’il favorise aussi l’épanouissement de nouvelles compétences. Ceci, au détriment du pouvoir des experts (souvent toujours les mêmes), qui exercent une espèce de monopole dans les médias qui les hébergent.

Bien sûr, le web n’est pas sans défauts. Il encourage de façon débridée le narcissisme boutonneux (tout sur moi à la sauce Facebook) et propulse pratiquement au rang de vertu ce besoin contagieux d’imiter les autres dans ce qu’on décrit comme le plus grand réseau social dans le monde...

En dépit de tout, la plus grande force du web c’est peut-être de bousculer un peu l’ordre établi, et surtout de forcer l’industrie des mass-médias et ses artisans à se redéfinir. À cet égard, la question qui devrait être sur toutes les lèvres des journalistes de l’écrit par les temps qui courent est la suivante: combien de temps encore nos journaux, tels que nous les connaissons dans leur forme actuelle, tiendront-ils encore le haut du pavé? Ne sont-ils pas condamnés d’avance à devenir des produits dérivés, dénués de publicité, à tirage restreint et chers?

Que faire?

Avec un pied dans l’ancien monde et l’autre dans le nouveau, le surplace n’est pas une option. Un seul choix s’impose de façon absolue et incontournable. Avancer visière levée tout en gardant constamment à l’esprit que la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de presse, sont des piliers de notre démocratie. Qu’importe le support ou la plateforme…

Il revient aux journalistes de défendre vigoureusement cet idéal démocratique. Comment? En se rappelant que le journalisme n’est pas un métier comme les autres et qu’une des tâches principales des médias d’information est de renseigner le public sur les affaires de la cité. En continuant, en outre, de jouer leur rôle, qui est de présenter le plus honnêtement et rigoureusement possible la réalité de ce monde souvent complexe et antagoniste. En prenant du recul. En faisant de la vraie information, fondée sur l’enquête et le recoupement des faits. Rappelons-nous que des faits qui ne sont pas expliqués n’ont pas beaucoup de signification. Ne sous-estimons pas l’opinion. Elle doit aussi occuper une place importante car elle fait partie intégrante de l’information.

Gardons toutefois à l’esprit que l’information, toute d’intérêt public qu’elle soit, n’en demeure pas moins, prosaïquement, une marchandise qui obéit à des contraintes de rentabilité.

Les médias n’échappent pas aux lois économiques qui les poussent inlassablement à accroître leurs parts de marché. Les patrons des empires de presse aiment bien l’influence que leur procurent leurs médias, mais ils ont une préférence marquée pour le fric qu’il y a à faire dans ce business.

On a vu dans un passé récent à quels excès cela peut parfois donner lieu.Au mépris des règles les plus élémentaires de la déontologie journalistique, Quebecor ne s’est-elle pas livrée impunément à de désolantes et pathétiques incursions dans l’info-pub en «ploguant» systématiquement, au nom de la convergence, les émissions de Star Académie en une du Journal de Montréal et dans les bulletins de nouvelles de TVA? Dénoncée par le Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal, Quebecor n’avait-elle pas rétorqué, via son porte-parole Luc Lavoie, que «Le Journal de Montréal et TVA sont des outils de promotion qui se servent l’un et l’autre et qu’il n’y a rien de mal là-dedans?»

Le plus désolant dans tout cela c’est que le public, par la réception qu’il fait à ces produits qu’on lui offre, est en partie responsable de la situation: en ce sens, on peut certainement affirmer que nous avons bien souvent les médias qu’on mérite!

Toujours dans la famille Quebecor, le long lock-out qui a cours depuis avril 2007 au Journal de Québec devrait sonner des cloches à tous ceux qui prétendent avoir à cœur les intérêts de la démocratie.

Car à n’en point douter, par-delà son aspect régional, ce conflit soulève plusieurs questions de fond qui sont de portée beaucoup plus générale. La direction de Quebecor affirme que les employés du Journal de Québec doivent faire face aux nouvelles réalités du marché, notamment avec le développement d'internet, et exige d’eux qu’ils soient désormais plus polyvalents. Qu’est-ce à dire au juste? Outre la rédaction de textes, on demande aux journalistes de prendre des photos, des images à la caméra numérique, d’enregistrer du son, etc. Cela nous rappelle les premières années de la salle des nouvelles de TQS où les reporters jouaient les hommes-orchestres. L’expérience n’avait pas été très concluante et on en était vite revenu à la bonne vieille division du travail. Mais si ce n’était que ça. Plus fondamentalement, ce que souhaite réellement Quebecor, c’est la possibilité d’utiliser le travail du journaliste sur ses différentes plateformes (web, télé, journaux, etc.) de manière à en accroître la rentabilité.

Dans une logique d’entreprise capitaliste, cette approche se défend parfaitement. Mais nous sommes ici en présence d’un secteur névralgique pour notre démocratie. Moins de sources d’information sont de nature à affecter le débat démocratique. Cet axiome, maintes fois repris, y compris par deux commissions royale d’enquête sur la concentration de la presse au Canada (Davey et Kent), a-t-il encore quelque écho dans nos savanes?

Alors, en conclusion, est-ce à dire que tout est foutu? Allons-nous nous débiner devant ces nouvelles technologies de l’information qui bousculent et remettent en question les modèles traditionnels de transmission de l’information? Allons-nous hisser le drapeau blanc devant ceux qui conçoivent encore les médias d’information comme des planches à billets?

Je ne doute pas un seul instant qu’en faisant de la question Informer est-il encore d’intérêt public? le thème de ce colloque, les organisateurs de la FNC aient voulu être un brin provocateurs. Car, reconnaissons-le d’emblée, à cette question qui tue, une seule réponse s’impose, claire, précise, et que trois petites voyelles résument parfaitement: OUI!

Informer le public (et non le distraire et le divertir) devient aujourd’hui plus que jamais une nécessité à laquelle ni les journalistes ni les entreprises de presse ne peuvent se dérober. Malgré leurs défauts, les médias d’information restent nécessaires. Ne faudrait-il pas d'abord encourager le public à les consulter plutôt que de se contenter de faire étalage de leurs vices en oubliant leurs vertus? La démocratie a besoin des médias et vice versa. Au fond, les limites des médias ne sont-elles pas aussi celles de la démocratie?

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Daniel Marsolais est entré comme journaliste à La Presse en 1969, où il a couvert plusieurs secteurs de l’actualité, dont les affaires judiciaires, l’éducation, le travail, les communications, etc. Il a été président du STIP à la fin des années 1970 et au début des années 1980, et président du Front commun CSN-FTQ des employés de La Presse et de Montréal-Matin. Il a aussi été journaliste au pupitre avant d’être nommé, en 1988, adjoint au directeur de l’information. À partir de 1991, il a occupé le poste de chef de pupitre jusqu’à son départ à la retraite, en juin 2007.