Liza Frulla - Quand média et démocratie se confondent


Alors où est la nouvelle? Dans le clip de huit secondes au téléjournal? Dans la mauvaise photo bien choisie pour la une? Ou plutôt une phrase choc, un titre choc? Un titre qui vend. Ou une phrase citée hors contexte. Pourquoi pas un extrait d’une source anonyme? Ou même la petite phrase assassine qui n’a pas rapport.

Encore mieux: donnons leur du «human». Du plus vrai que vrai. Une retenue de sanglot en direct, une confidence sur l’oreiller de l’animatrice le soir à la télé ou une pitrerie à Infoman. Un bonnet sur la tête, quelques notes de sax en direct à l’émission du soir, une visite de l’humble résidence ou un sketch dans une tente avec des cowboys. On peut aussi «peopleliser» le débat politique. On en raffole de plus en plus. Malheureusement, bien des gens considèrent cela comme de l’information.

Dans un topo à la télé ou un article dans le premier cahier du journal, on entend surtout les commentaires ou on lit surtout les opinions du journaliste, tout en minimisant la présence de la personne pour laquelle nous serions supposés de voter. On a le droit à l’humeur, à «l’éditorialisation» de la nouvelle. Les rôles sont inversés. Le journaliste, le chroniqueur sera la vedette à la place de la vedette.

Pensez-y! Comment pouvons-nous savoir ce que pensent nos politiciens des enjeux de la mission en Afghanistan, de la déstructuralisation de notre industrie manufacturière ou des problèmes non résolus des urgences du CHUM si on ne les laisse parler que durant un court clip au téléjournal. Dans la campagne présidentielle américaine actuelle, nous en sommes mêmes rendus à des clips télé de huit secondes, top chrono. Un peu court pour expliquer comment régler les problèmes en Irak et au Moyen-Orient ou la récession imminente.

On nous dira que le journaliste est là pour expliquer l’enjeu. C’est vrai. Mais plus souvent qu’autrement, celui-ci ou celle-ci interprète la nouvelle, la colore, la simplifie, l’édulcore, la distille. La loi du tirage et des cotes d’écoute prévaut. Vite, vite, vite. Pas le temps d’approfondir, de faire de la recherche. On coupe les détails que l’on juge superflus. Espace et durée obligent. On favorise les anecdotes, le superficiel, le spectaculaire, la controverse, le négatif, versus l’explication des enjeux d’une politique ou le reportage d’un événement.

Et après tout cela, on se demande pourquoi le citoyen déserte l’information dite traditionnelle. C’est parce que les citoyens réagissent. Et ils sont de plus en plus nombreux à aller chercher leur information sur d’autres sources plus diversifiées, moins biaisées, moins éditorialisées, plus complètes. Il ne faut pas perdre de vue que les citoyens ont le droit de savoir. Ils ont aussi le droit de choisir leur source d’information. Et, ne l’oublions surtout pas, ils ont aussi le droit de ne pas savoir.

La démocratie, c’est le pouvoir du citoyen. Non pas celui du politicien. Ni celui des médias. La démocratie, c’est faire confiance au citoyen et non pas le prendre par la main, lui dire ce qu’il est bon de penser ou de ne pas penser, tirer des conclusions à sa place.

L’inverse de la démocratie c’est l’infantilisation du citoyen. Les médias pensent de plus en plus qu’ils peuvent faire une meilleure analyse que ce citoyen, qu’ils peuvent mieux comprendre les événements et les véritables enjeux. Les médias se placent en situation de juge et partie. Ils choisissent ce que les citoyens ont le droit de savoir et comment ils le sauront. On ne rapporte plus la nouvelle, on traite la nouvelle. Si on ne sait pas comment la traiter, on sonde. Et on sonde. Et on sonde. Ça fait des gros titres et ça vend de la copie. Et ça nourrit la concurrence entre les médias et les patrons sont contents.

Ce qu’il manque de plus en plus dans les médias, c’est de l’information non biaisée, non éditorialisée et plus diversifiée. L’inverse de la convergence. De l’information fouillée, documentée, réfléchie. De la véritable information qui n’est pas spectacle. De l’information comme la plupart des journalistes aimeraient la faire. Quand on la retrouvera, les citoyens reviendront.


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Liza Frulla a mené une carrière remplie autant dans le monde des communications et des médias que dans le monde politique. Après avoir été la première femme journaliste sportive au Québec, elle devient directrice du marketing de la Brasserie Labatt, puis directrice générale de CKAC. Elle fait le saut en politique provinciale en 1989 et devient ministre de la Culture et des Communications. En 1998, elle quitte la politique pour animer pendant quatre ans une émission quotidienne à Radio-Canada. En 2002, élue au Parlement canadien, elle est nommée ministre du Développement social, puis ministre du Patrimoine et ministre responsable de la condition féminine. Liza Frulla est aujourd’hui professeure associée au département de sciences politiques de l’Université de Sherbrooke et analyste politique pour Le Club des Ex à RDI. Membre de plusieurs conseils d’administration, elle a aussi été récipiendaire de l’Ordre de la Pléiade.

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