Anne-Marie Voisard – Internet : du pour et du contre (deuxième texte)


«Toi qui aimes les livres et Gabriel Garcia Marquez, voici quelque chose d'impressionnant qui ne manquera pas de t'intéresser. Tu savais qu'il est au plus mal actuellement? Je viens de l'apprendre dans un diaporama qui contient son testament. Je te l'envoie.» Le courriel me vient d'une amie enseignante, qui tient la nouvelle d'une collègue.

L’information est plausible, puisque l'auteur de Cent ans de solitude aura 80 ans en mars. Sauf que, vérification faite, je la crois fausse. Du moins, je n'ai rien trouvé qui puisse la confirmer. Rien, sinon ce diaporama qu’elle me fait parvenir, signé de maigres initiales, ce qui revient à dire anonyme. Dans Eureka, les plus récentes mentions du nom de l'écrivain colombien concernent son roman porté à l'écran, L'amour au temps du choléra.

Cette histoire survient au moment où je lis les textes fort pertinents de Pascal Lapointe sur le site consacré au prochain colloque Médias et Démocratie. Elle donne à voir qu'Internet a ses limites. Que des gens hautement scolarisés, à l'affût des nouvelles, peuvent facilement se laisser embobiner. Qu'en est-il de ceux que le chercheur Henry Milner, dans son texte tout aussi passionnant et remarquablement bien documenté, classe parmi les analphabètes fonctionnels? C'est plus du quart des Québécois (28%), selon les statistiques.

Voyant cela, je me dis que, dans un monde idéal, informer devrait rester le privilège de ceux dont c'est le métier. Qu’on ne devrait pas autoriser n’importe qui à s'improviser journaliste. D'autant plus que des candidats sérieux sortent des universités. Et que plusieurs médias organisent des stages qui donnent la préparation immédiate.

Mais c'est rêver en couleur. Internet est accessible à tous. Il offre le pire... et le meilleur. Parfois je me demande comment on réussissait à travailler avant l'arrivée de l'ordinateur. Je ne parle pas ici que du clavier et de l'infinie possibilité qu'il offre de fignoler notre prose jusqu'à sa publication. Merveilleux outil de documentation, le Web est quasi sans limites, une fois qu'on a réussi à l'apprivoiser. Il répond à nos questions dans le temps de le dire. La rapidité n'est pas la moindre de ses qualités.

Je revois nos vétustes centres de documentation, et leurs chemises jaunies, qui sont aujourd'hui relégués dans les sous-sols. Nous n'avions que ça, avec les microfilms, en guise d'archives. Et c'était long à consulter. Nos articles forcément devaient s'en ressentir. Il fallait écrire quotidiennement. Au fil des différentes éditions, les infos suivaient. On faisait du mieux qu'on pouvait avec les moyens d'alors.
Les temps ont bien changé. L'accès aux sources, via Internet, ne laisse plus d'excuses à une information tronquée, voire incomplète. Mais attention! Il ne suffit pas de maîtriser l'instrument pour prétendre à du travail de qualité. Hier comme aujourd'hui, le bon journaliste n'est pas celui qui reste dans son bureau, les pieds au chaud dans ses pantoufles. Il sort.

Je relis Gilles Lesage. «Les faits, d'abord et avant tout», écrit le journaliste chevronné en conclusion d'un dossier publié dans la revue RND, et reproduit sur le site réservé au colloque. Il a parfaitement raison. De même aussi lorsqu'il en appelle à «l'exactitude et la précision des faits, d'une part, et la vérification et la rigueur, de l'autre...»

Pour ça, on a tout intérêt à aller sur le terrain, constater de visu. Internet est un facilitateur extraordinaire. Mais il ne remplace pas le contact direct avec les personnes qu'on interroge, et qui nous font confiance. Il faut apprendre à les écouter, à saisir au-delà des paroles. L'émotion qui se cache derrière, loin d'être négligeable, éclaire les faits. Elle aide à mieux informer le public.


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Anne-Marie Voisard, qui demeure active comme journaliste indépendante, a pris sa retraite du quotidien Le Soleil en 2006. Elle y avait été embauchée en 1961 pour travailler aux pages féminines. Après avoir quitté le journal quelques années pour compléter un bac en pédagogie, elle y revient et se retrouve, au moment de la création des cégeps, affectée à l'éducation. Comme journaliste, elle a touché à tout: littérature, éditorial, dossiers à caractère social... Au cours de ses six dernières années au Soleil, elle a supervisé les stages en journalisme. De sa carrière, on retient deux faits parmi d'autres: en 1980, elle reçoit le prix Judith-Jasmin pour une série d'articles, Alcool et Travail. Pour elle, c'est un baume, au terme d'une bataille qui l'a menée jusqu'en Cour suprême. La cause? Un texte jugé trop critique par le directeur de l'information d'alors, qui lui en avait substitué un de son cru.

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