Laurent Laplante - Que font les médias de la notion d’intérêt public?


Ce texte, reproduit ici avec la permission de l’auteur*, a servi de référence lors d’un échange intervenu en octobre 2004, sous la gouvernance de Florian Sauvageau, entre Julius Grey et Laurent Laplante, à la Bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec. À l’époque, la controverse était vive autour du sort qui attendait la station CHOI-FM menacée par le CRTC d’une suspension de son permis de diffusion.


J’annonce immédiatement mes couleurs. Je suis allergique à la censure. Même s’il m’arrive de détester certains propos proférés par les médias, je préfère subir cet inconvénient que réclamer la censure et surtout la censure préalable. Rien dans la suite de mes propos ne devrait occulter ce repère. D’autre part, mes commentaires viseront certaines activités médiatiques plus que d’autres : l’information et les affaires publiques plus que les oeuvres de fiction, l’écrit et la radio plus que la télévision, le secteur public plus que le privé... Je ne condamne pas le reste, je circonscris mes observations.

J’avoue manquer de sérénité quand je scrute la relation actuelle des mass-médias avec l’intérêt public. La montée en puissance du néolibéralisme affadit tellement l’intérêt public que s’amplifie une crainte : les médias sont-ils désormais dispensés, se sentent-ils désormais dispensés d’une préoccupation civique ? Mon inquiétude s’alourdit du fait que le secteur public de la radiotélédiffusion réagit aussi mal à l’influence du néolibéralisme que le secteur à but lucratif et que les journalistes eux-mêmes ne distinguent pas toujours nettement leurs intérêts corporatifs et les besoins sociaux.

Comme je ne crois pas à l’objectivité, ni à la mienne ni à celle des autres, je n’ai aucun mérite à reconnaître d’entrée de jeu que le filtre à travers lequel j’évalue la relation entre l’intérêt public et le monde du journalisme et des mass-médias est teinté. Par le gris plus que par le rose.

1. Un bilan contrasté

Parodions Shakespeare un instant : tout n’est pas pourri, loin de là, dans le royaume des médias. On y trouve du bon, du mieux, du déplorable. Ceux et celles qui ont connu les médias et le journalisme d’avant la révolution tranquille peuvent témoigner d’indéniables et importants progrès. Ce que Georges-Émile Lapalme, dans ses Mémoires, raconte de la vénalité à peu près généralisée des journalistes n’était que trop vrai, mais cela appartient à une époque révolue sauf peut-être, paradoxalement, dans le domaine sportif et dans celui des arts où la promiscuité réduit parfois à presque rien le recul critique. De façon globale, je le répète, l’assainissement fut réel. La syndicalisation des salles de rédaction a amélioré les conditions salariales du métier et provoqué une heureuse épuration des moeurs.

La révolution tranquille a également sonné le glas de la censure. (Il n’est pas dit que l’autocensure liée au carriérisme ait subi le même sort, mais cela relève d’une autre analyse.) On n’imagine plus que L’amant de Lady Chatterley divise la Cour suprême, que Les Fées ont soif mobilise l’opinion, que La Belle de céans scandalise une partie de l’auditoire de Radio-Canada, que I, A Woman, Les Ballets Africains et Playboy jettent dans les transes une escouade de la moralité. Même dans des domaines spécialisés comme celui de la chronique judiciaire, le changement est patent. Julius Grey le dirait avec plus de compétence que moi, la crainte révérentielle qui empêchait les journalistes de critiquer les décisions des tribunaux n’intimide plus beaucoup. Autant de motifs de réjouissances.

L’autre versant du bilan est plus équivoque et souvent moins glorieux. Dans son survol du journalisme québécois, Jean de Bonville montre fort bien qu’une logique marchande a pris le pas sur l’allégeance politique. Sont disparus les journaux ostensiblement rattachés à un parti, comme Montréal-Matin et Le Jour ou Le Soleil d’une certaine époque ; ont prospéré à leur place les journaux généralistes préoccupés surtout de gonfler leur lectorat, comme La Presse. Ils imposent discrètement leurs préférences politiques et sociales, mais ils ne les brandissent plus comme des oriflammes. Ces journaux modernes cherchent tantôt à offrir un dénominateur commun au plus populeux auditoire possible, tantôt à satisfaire une série de ghettos parallèles grâce à des rubriques spécialisées qui vont des mots croisés à la chronique d’horticulture.

Au passage, on a converti la grande majorité des hebdomadaires régionaux en circulaires blafards et déprimants. Au moment où Réginald Martel animait à la radio de Radio-Canada l’émission hebdomadaire Regards sur le Canada français, il pouvait puiser à pleines mains dans Le Clairon maskoutain, La Frontière, Le Canada français, L’Écho du Nord, Le Progrès du Golfe, L’Écho du Bas-Saint-Laurent, L’Écho abitibien, etc. On parle encore des régions à l’occasion de campagnes électorales ou de colloques, mais les conglomérats urbains les ont privées de la plupart de leurs moyens d’expression.

On a assisté aussi au changement de la garde à l’intérieur des quotidiens : des gestionnaires ont succédé aux grands patrons de presse. Ce n’est plus un Jean-Louis Gagnon, un Gérard Filion, un Gérard Pelletier ou un Claude Ryan qui détient et exerce le pouvoir suprême, mais un personnage plus familier de la finance que de l’analyse politique ou sociologique. Certains jugeront qu’un tel changement de la garde équivaut à une censure préventive ; je ne les contredirai pas.

L’avènement des nouvelles technologies a contribué à modifier les relations de travail et les rapports de force entre les parties patronales et les syndicats. Linotypistes et typographes ont cédé le pas aux maquettistes et aux informaticiens. Pendant les conflits de travail, la ligne de piquetage ne signifie plus grand-chose et l’on a assisté au cours des récentes années à des grèves de quotidiens qui ne parvenaient même pas à interrompre la publication. Si les journalistes de Radio-Canada débraient ou sont mis en lock-out, les députés fédéraux posent moins de questions que si disparaît la Soirée du hockey. Si l’intérêt public est encore présent dans les esprits, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il se manifeste discrètement.

Autre modification substantielle dans la façon d’assurer le service public, les récentes décennies ont modifié si souvent la notion de concentration de la presse que ses conséquences n’apparaissent plus clairement . Il fut un temps où une personne ne suscitait nulle protestation si elle possédait l’ensemble des médias d’une région et même davantage. Pensons à Jules Brillant à Rimouski : CJBR, CJBR-TV, Le Progrès du Golfe, L’Écho du Bas-Saint-Laurent, Quebecair, La Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent, etc. En Estrie, c’était le règne de Desruisseaux. Dans le Nord-Ouest, celui de Gourd. Par la suite, ce type de concentration a été contesté, puis remplacé par une autre concentration. Radio-Mutuel, Télémédia, Gesca, Hollinger... pouvaient contrôler une série de médias d’une même « espèce ». Je saute les étapes qui, de nuances en subtilités, ont conduit à la situation actuelle. Que le câblodistributeur soit propriétaire d’une chaîne de télévision et le relayeur des autres ne constitue plus, paraît-il, un risque de concurrence déloyale. On n’interdira pas non plus la « synergie » du consortium qui utilise un journal quotidien pour mousser la programmation de sa télévision ou les best-sellers de ses maisons d’édition. Concentration ? Non. Synergie. Et totale résignation au néolibéralisme. Les gouvernements affirment ne pouvoir rien faire. Il fut pourtant une époque où le gouvernement central sourcillait quand des entreprises canadiennes inscrivaient dans leurs dépenses d’exploitation la publicité payée à Reader’s Digest ou à Time. Tout comme il fut un temps où le tarif postal de deuxième classe constituait un soutien discret à la distribution des médias écrits. L’intérêt public ne se limitait pas à des commandites arbitraires et illégales.

En ce qui a trait au raffinement, au respect de la langue ou de la culture, le fossé s’élargit entre l’époque où Radio-Canada présentait des téléthéâtres, des Heures du concert, Radio-Collège, Pays et merveilles... et celle-ci. La télévision publique affirme ne pas se laisser dicter sa programmation par les cotes d’écoute, mais comment la croire ? Quant à la radio de Radio-Canada, elle semble chercher sa vocation. Pour ne donner que de rapides illustrations, la littérature ne fait plus partie des domaines scrutés de façon systématique et la musique classique est menacée d’extinction. La radio de Radio-Canada excelle d’ailleurs à faire indirectement ce qu’elle n’a pas le droit de faire directement. Puisqu’elle n’a pas le droit d’accepter des commerciaux, elle multiplie les invitations à aller voir ce qui est présenté à la télévision de Radio-Canada... où la réclame est permise.

Quant aux journalistes, leurs interventions dans le débat public oscillent entre le souci corporatiste et l’authentique préoccupation sociale. Certes, ils interviennent quand la concentration procède à une nouvelle offensive, mais ils semblent s’inquiéter des éventuelles pertes que de la décroissante diversité de la presse. La motivation n’est pas davantage univoque quand la presse proteste contre une magistrature qui déplore les dérapages survenus à l’intérieur des palais de justice. Dans le procès de Robert Gillet, plusieurs médias ont pourtant ouvertement incité la foule à faire pression sur le cours de la justice. La Fédération professionnelle des journalistes commence souvent par monter aux barricades pour défendre le droit du public à l’information avant de se demander si les médias ne manifestent pas un dangereux mépris des institutions et des présomptions d’innocence. Les journalistes ne semblent pas non plus préoccupés des contraintes que leur corporatisme fait peser sur le Conseil de presse.

2. Un secteur névralgique

Que le néolibéralisme règne, cela ne constituera pas une révélation pour qui que ce soit. Pour plusieurs, ce n’est même pas un sujet d’inquiétude. Soit. Mais que le néolibéralisme soit laissé à sa seule dynamique dans le domaine des médias et de l’information, voilà, selon moi, qui pose problème. Ce n’est plus d’exception culturelle qu’il faut parler, mais de l’espace vital requis par la démocratie, la culture, la santé sociale.

Pourquoi isoler ce secteur ? À cause de sa nature spécifique et des enjeux qui lui sont propres. Les médias assument, qu’on s’en souvienne, une double nature : ils sont à la fois des entreprises à but lucratif et les dispensateurs de l’information et de l’analyse, à la fois des organisations libres de se rentabiliser et les garants d’une emprise démocratique sur les activités de la société. Pas de démocratie sans citoyens informés. Pas de démocratie sans une presse libre, diversifiée, fiable. Pas d’identité civique non plus si nul ne renseigne les citoyens sur les pressions économiques propices à l’homogénéisation. Pas de société lucide et solidaire sans une vie intellectuelle et culturelle déployée sur divers paliers. Sur chacun de ses fronts, la presse porte des responsabilités lourdes et précises, car l’intérêt public est mis en cause. Ce qui précède a quelque peu déblayé, j’espère, le sens que donnent (ou ne donnent pas) les médias à l’intérêt public.

Si l’on admet que la vie démocratique requiert une telle presse, une telle information et une telle vie culturelle, la réflexion s’oriente vers les moyens d’obtenir ce résultat. Peut-on faire aveuglément confiance au libre marché et attendre de lui qu’il crée, développe et maintienne la liberté de l’information, sa diversité, sa fiabilité, sa sensibilité à la culture ? Formulée à la lumière de l’actualité, la question devient celle-ci : les attitudes actuelles de la presse incitent-elles à la confiance ou à l’inquiétude ? Si l’on croit que tout va bien, laissons aller les choses et félicitons les médias de leur dévouement à la chose publique. Dans l’hypothèse où la prudence paraît de rigueur, il faudra réussir différentes harmonisations. Réconcilier les droits des médias et la nécessaire défense de l’intérêt public. Réconcilier la liberté des entreprises d’information et les droits de la société en la matière. Harmonisations délicates, accommodements difficiles.

Les médias du secteur privé sont, dans l’immense majorité des cas, des entreprises à but lucratif. Quelques exceptions existent, mais rien qui puisse empêcher la quête de profit de constituer la tendance lourde. Cela admis, les corollaires sont vite observables. J’y reviens en fusillade : regroupements des titres, économies d’échelle réelles ou appréhendées, fusion des salles de rédaction, culte de la synergie, recours de tous à une poignée d’agences de presse, recours au travail précaire... Ainsi le veut la logique marchande à laquelle les médias, comme les autres entreprises à but lucratif, se soumettent spontanément. Tant qu’il n’y a pas collision entre cette logique et les besoins fondamentaux d’une société démocratique, on croit avoir atteint le point d’équilibre. Si, par contre, la concurrence devient féroce, si le marché est sollicité par un plus grand nombre d’intervenants, si la marge bénéficiaire commence à fondre, si on pense l’accroître par les fusions et les synergies, l’industrie a tôt fait de réclamer (ou de s’octroyer) une plus grande marge de manoeuvre.

Cette situation est d’observation courante. S’il n’y a pas surveillance et réglementation, les commerciaux charcutent la création, les contingentements visant à assurer un contenu canadien sont ignorés, la publicité fait pression directement ou par référence aux cotes d’écoute, etc. Dans un duel en champ clos entre le néolibéralisme et le droit du public à une diffusion diversifiée, fiable et digne, bien naïf qui pariera sur l’intérêt public. Que l’on hésite sur les moyens les plus indiqués pour préserver un certain équilibre, cela va de soi ; qu’on renonce à soutenir le droit du public à une information propice à la vie démocratique, c’est accepter la dictature des conglomérats.

Le secteur public, en théorie, échappe à cette logique marchande. L’intérêt public y est une référence explicite, ne serait-ce qu’en raison du fait qu’une portion du financement vient de fonds publics. Les objectifs ont cependant évolué là aussi. À une certaine époque, Radio-Canada faisait face à un triple mandat : «informer, instruire et distraire ». Quand Judy Lamarsh en tira comme conclusion que Radio-Canada devait dispenser des cours, les provinces réagirent. Le Québec, l’Alberta et l’Ontario occupèrent le champ grâce à leur télévision éducative. Le gouvernement central laissa tomber la prétention à « instruire » et les cours télévisés disparurent de l’antenne de Radio-Canada. Reste que Radio-Canada a mandat de distraire, mais aussi d’informer.

Qu’en est-il dans les faits ? Bien entendu, les opinions diffèrent. Une tendance lourde se manifeste pourtant : le secteur public est en perte de vitesse en matière d’information, sous l’angle de la qualité encore plus que sous celui de la quantité. Facteur aggravant, la confusion des genres oblige les auditoires à consacrer de plus en plus de temps à la recherche des précieuses pépites qui se cachent encore dans la programmation. Toutes les émissions, en effet, touchent à tout, l’animation déborde sur le commentaire, les styles musicaux tournent à la macédoine, la radio rabat les auditeurs vers les inepties télévisées... Et les animateurs parlent, comme dirait Vigneault, un français puni au lieu d’un français châtié !

Radio-Canada réussit en outre un impressionnant tour de passe-passe : aucune évaluation externe ne lui est applicable. On prétend mépriser les cotes d’écoute, mais on leur voue un culte exigeant. On modifie la programmation sans l’aval explicite du CRTC. Quiconque déplore la détérioration de la langue parlée en ondes s’expose à une réplique cinglante : « Nous ne visons pas un auditoire de dix intellectuels ! » Si la critique va dans l’autre sens et reproche à Radio-Canada de perdre ses auditoires traditionnels en matière d’information et d’affaires publiques, la réplique pivotera : « Nous ne sommes pas là pour les cotes d’écoute ! » L’argumentation est à géométrie variable, alors qu’il devrait être possible d’évaluer avec nuance et clarté l’atteinte des objectifs.

3. Amnésie médiatique?

Le métier de journaliste et l’appartenance au monde des médias devraient assurément échapper à la conscription. Mais ils ne devraient pas esquiver les responsabilités qui vont de pair avec l’intervention en zone socialement névralgique. Publier, diffuser, mettre en ligne ne peuvent ni ne doivent se réduire à une activité purement commerciale. C’est pourtant la conception que se font de leurs droits l’immense majorité des médias du secteur privé et, de façon croissante, la radio et la télévision de Radio-Canada. Tout se passe comme si les composantes essentielles de la démocratie, de la vie en société et de la culture pouvaient se transiger, se vendre, s’aliéner comme n’importe quel produit commercial et quantitatif.

On réagirait de la mauvaise façon si on prétendait corriger un dérapage social ou culturel en appliquant des critères lourdauds à la démocratie ou à la culture. Si les médias ignorent les dimensions qualitatives de leur rôle, des mesures quantitatives ne les réveilleront pas. D’ailleurs, la sociopolitique canadienne des médias traite différemment les médias écrits et la presse dite électronique. Dans la première catégorie, c’est presque la liberté des enfants de Dieu qui est la pratique ; dans la seconde, des organismes interviennent soit pour accorder des permis d’exploitation soit pour déterminer les règles applicables au contenu ou au style à respecter. On prétend, se trompant de siècle, que l’État n’intervient dans le domaine électronique qu’en raison de la rareté des fréquences. On peut penser, cependant, que l’État, bienveillant et paternaliste, fait davantage confiance à ceux qui savent lire qu’aux consommateurs d’images ou de bruits.

Il faut pourtant des limites. Des principes, peu nombreux et assez simples, devraient recevoir d’emblée l’adhésion des médias. Je pense ici à la « fairness doctrine », équivalent approximatif de la règle audi alteram partem, au respect des réputations, à la séparation de l’information et de la publicité, etc. Privés ou publics, les médias devraient s’incliner devant de tels minima. Malheureusement, ce n’est pas le cas, ce qui en dit long sur le souci de l’intérêt public de la part des médias. Est-ce mieux dans le cas de Radio-Canada ? La différence est de moins en moins visible. D’une part, je l’ai dit, parce que Radio-Canada accepte ou rejette selon son caprice l’évaluation quantitative des cotes d’écoute. D’autre part, parce que Radio-Canada, qui est appelée à une performance qualitative particulière et qui est financée en conséquence, n’a jamais élaboré de critères d’évaluation qualitative crédibles et publics.

En guise de conclusion

Quelques orientations me paraissent devoir se dégager. Dans le cas de Radio-Canada, il est urgent que la notion d’intérêt public soit réhabilitée. La mise au point de mécanismes d’évaluation qualitative irait dans ce sens et je crois que les universités pourraient aider grandement. Jusqu’à maintenant, elles ont scruté Sirius plutôt que la planète Terre. Dans le secteur privé, je serais tenté de réduire le rôle de l’organisme de contrôle à l’octroi des fréquences et à la surveillance des contingentements requis pour l’épanouissement de l’exception culturelle. Pour tout le reste, je laisserais jouer le marché, à une nuance près cependant : dans le cas de plaintes présentant une vraisemblance de droit, les radiodiffuseurs devraient être amenés à contribuer au financement des contestations. Dans le cas de la téléphonie, le CRTC a appliqué le principe il y déjà longtemps et Bell devait payer pour que les consommateurs puissent embaucher des experts comparables à ceux du conglomérat. La Régie québécoise de l’énergie a appliqué le même principe en versant plus d’un million aux groupes qui contestaient devant elle le dossier du Suroit. Si le CRTC pratiquait cette exigence d’équité, le déséquilibre des ressources financières cesserait de favoriser les radiotélédiffuseurs.

Dans le cas des journalistes, le découpage temporel auquel a procédé Armande Saint-Jean (Éthique de l’information - Fondements et pratiques depuis 1960, PUM, 2002) est en lui-même un questionnement exigeant. De 1960 à 1970, dit l’auteure, phase d’éveil et de croissance. De 1970 à 1980, phase de militantisme. De 1980 à 1990, phase d’embourgeoisement. De 1990 à 2000, phase de mutation. Là s’arrête le survol, ce qui dispense l’auteure de dire vers quoi nous mènent la montée du journalisme d’humeur, les croisements d’intérêts corporatifs, le déséquilibre des forces entre le syndicalisme et les grandes entreprises de presse.

En somme, l’intérêt public n’est plus, aux yeux des médias, un critère important. Le verdict est plus net dans le secteur privé, mais il s’applique, hélas !, dans le secteur public également.
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* Laurent Laplante, journaliste et écrivain, a aussi été animateur d’émissions d’affaires publiques à la radio et à la télé. Comme journaliste, éditorialiste ou rédacteur en chef, il a travaillé pour plusieurs quotidiens québécois, dont Le Devoir, L’Action, Le Jour et Le Soleil.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Voici un article d'intérêt général paru dans le journal l'Humanité (France), le 5 novembre 2007.

Enquête « Faire son métier en toute responsabilité »

Par Sebastien Homer

Le spécialiste des médias Jean-Marie Charon appelle, dans son ouvrage (1), le public et les journalistes à renouer le dialogue.

Vous faites le même constat que les syndicats de journalistes : il y a une crise de confiance entre les médias et le public…

Jean-Marie Charon. Un constat assez ancien : on en parlait déjà à la fin des années quatre-vingt lorsque j’ai pris les rênes de la revue MédiaPouvoirs, à l’origine du baromètre sur la confiance que les Français accordent aux médias. Avec Timisoara et la guerre du Golfe, ce fut une période d’interrogations fortes de la part des syndicats de journalistes, mais certaines venant aussi du patronat. Ayant travaillé par la suite sur les questions d’éthique et de déontologie, notamment auprès des journalistes de télévision, ce qui m’avait frappé, c’était le choc qu’avaient représenté les évolutions technologiques et la privatisation de TF1, bouleversant les représentations et les manières de travailler. Et, déjà à l’époque, qui plus est face à des hiérarchies non plus journalistiques mais purement gestionnaires, se trouvait au coeur des préoccupations des journalistes la question de la responsabilité. Individuelle mais aussi collective. Une question que l’on a vu ressurgir dernièrement. Ce qui sous-tend ma réflexion, c’est la conviction que cette question de la confiance dans les médias est un véritable enjeu pour le public comme pour les journalistes malgré les réactions de gêne, de méfiance, voire de réticence qu’elle peut susciter chez des professionnels de plus en plus fragilisés.

Est-ce pour cela que vous parlez de « malentendu » ?

Jean-Marie Charon. Oui. Parce qu’on assiste à un face-à-face si ce n’est malsain du moins problématique. Du côté du public, il y a une attente très forte de fiabilité de l’information, qui s’apparenterait presque à une exigence de « zéro défaut ». Or, pour les journalistes, cette attente est irréaliste, ne pouvant que délivrer « la meilleure information possible » avec les moyens qu’ils ont. Voilà pourquoi il y a malentendu : ériger comme le font certains l’information au rang de connaissance (au sens quasi scientifique du terme), c’est oublier que les conditions de production et de validation de ces dernières ne sont pas les mêmes. D’où la nécessité d’une remise à plat pour éviter les faux procès. D’autant que les journalistes sont pris dans des modes d’organisation et d’entreprise tels qu’ils ne pourront y faire face sans l’appui du public.

Voilà pourquoi ils en appellent à l’opinion…

Jean-Marie Charon. En effet. Parce que, sans ce soutien, face aux logiques financières des acteurs qui dominent le secteur, le rapport de force risque de ne pas être favorable aux journalistes. Or, pour le rééquilibrer, l’un des meilleurs moyens, à mon sens, c’est, comme le suggèrent les syndicats de journalistes, de réfléchir sur les conditions d’une autonomie des rédactions. Parce qu’elle permettrait de travailler sur la question de la responsabilité et de la qualité de l’information. Pour que les journalistes puissent exercer leur métier en toute responsabilité.

D’où l’importance de l’éducation aux médias et d’un grand débat public ?

Jean-Marie Charon. Évidemment. Ne serait-ce que pour éviter les fausses « bonnes réponses » comme la création d’une « haute autorité » pour jouer les gendarmes. Car ce n’est pas ainsi qu’on responsabilise les gens, une profession et un secteur. Mais surtout parce qu’elle ne saura jamais répondre à l’ensemble des problèmes, se contentant de traiter quelques affaires isolées, au risque de taper sur le « lampiste » sans jamais se poser la question de la responsabilité des commanditaires ni des logiques derrière. Il faut donc rebâtir un pont entre le public et les journalistes. Pour ne pas les laisser seuls face au « grand capital » si je puis dire, parce qu’on en est là. Même si c’est difficile, même si c’est fragile, en témoignent la disparition d’espaces comme les universités d’été de la communication ou le fait que les assises du journalisme n’aboutissent qu’à la rédaction d’une charte. Parce que TF1 aussi a sa charte… Sans parler de certaines formes de critiques qui ne sont qu’un dévoiement de la critique. De fait, le débouché d’un ouvrage s’adressant autant au public qu’aux journalistes, mais aussi à leurs patrons et aux politiques, serait de créer les conditions d’une discussion et d’une réflexion. Et pas seulement à la faveur de quelques crises. Voilà pourquoi, à mon avis, poser la question, comme le font les syndicats de journalistes, de l’autonomie des rédactions me semble judicieux. Parce qu’il n’est pas impossible que cela débouche sur du concret. Mais aussi parce que cela pourrait permettre de tirer d’autres fils comme celui de la propriété des médias ou des conflits d’intérêt. Ce qui, dans le contexte politique actuel (l’un des plus catastrophiques que l’on ait connu depuis longtemps), serait salutaire.

(1) Les Journalistes et leur public, le grand malentendu, de Jean-Marie Charon, Éditions Vuibert, 2007, 245 pages, 22 euros.

Entretien réalisé par Sébastien Homer

Anonyme a dit…

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