Gilles Normand - De la télé sur papier…


De tout temps, dans le métier, il y a eu un prix à payer pour les erreurs ou les inexactitudes. C’était, jadis, une verte remontrance d’un chef des nouvelles ou d’un directeur de l’information, avec parfois menace de renvoi quand des informations n’avaient pas été adéquatement vérifiées, quand le journal avait l’air fou à la suite d’un article dont l’auteur s’était fourvoyé. Les journalistes étaient poussés à la rigueur, ce qui, hélas, n’a pas suffi à écarter de la confrérie certains éléments peu qualifiés.

Si, aujourd’hui, les reporters ont à l’évidence une meilleure préparation académique, nombre d’entre eux doivent travailler dans un contexte qui ne favorisera pas nécessairement la réflexion, surtout si on leur met dans les mains une caméra ou un appareil-photo, ou si on exige d’eux qu’ils alimentent presto le site Internet de l’entreprise. Il faut faire vite, on n’a pas non plus le temps d’attribuer des blâmes.

Jusque dans les années soixante, La Presse appartenait aux mêmes intérêts que l’hebdomadaire La Patrie et la station radiophonique CKAC. À l’époque, il n’est jamais venu à l’esprit de qui que ce soit qu’il puisse y avoir la moindre parenté entre les salles de rédaction de ces trois médias et il n’y en avait pas.

À la même époque, Le Nouvelliste de Trois-Rivières avait pour propriétaire le même que la station radiophonique CHLN. Pas de confusion là non plus entre les salles de rédaction.

Cependant, il faut savoir qu’en ces temps où les journalistes gagnaient peu cher, ceux du Nouvelliste dans les régions voisines et ceux qui couvraient le Palais de justice de Trois-Rivières étaient invités à collaborer à CHLN, soit en relayant des nouvelles, soit en lançant un topo en ondes. Et peu se faisaient prier puisque ce revenu d’appoint, bien que mince, était intéressant. C’était la même chose pour des journalistes de La Presse couvrant la scène politique, à Québec ou à Ottawa, ainsi qu’à l’Hôtel de ville de Montréal et dans ceux de la périphérie. Personne ne trouvait à redire, on ne sentait poindre la moindre menace. On n’a pas vu venir assez tôt.

La télévision, jusqu’alors pas très menaçante pour la presse écrite, faute de salles de rédaction dignes de ce nom, s’est cependant, au fil du temps, révélée une menace: plus souple, plus rapide, en quelque sorte toujours immédiate, elle rendait les articles de journaux caducs. La télévision, désormais, forçait la presse écrite à rivaliser avec elle, l’obligeant à se dépasser.

Puis vinrent les conglomérats regroupant plusieurs entreprises de presse - chaînes de médias écrits et électroniques - au gré de la voracité des investisseurs.

Dans le Québec francophone, deux groupes de presse importants - Gesca et Quebecor - regroupèrent les quotidiens. Ils possèdent aussi d’innombrables périodiques. L’un d’eux a acquis un réseau de télévision, l’autre s’est lancé dans la production télévisuelle. Alors, sous une forme ou sous une autre, on a vu croître le trafic entre les salles de rédaction, convergence que dénoncent les journalistes. Enfin, la majorité d’entre eux!

À ceux qui s’inquiétaient des conséquences négatives possibles sur la qualité de l’information, on a toujours répondu qu’au contraire, ces entreprises devenaient plus solides et pouvaient consacrer des budgets plus importants à l’information qui allait s’en trouver mieux servie.

Mieux servie? On a assisté à des orgies de confusion où on tentait de faire passer certaines promotions pour de l’information, par exemple en faisant des nouvelles pour ploguer des émissions comme la téléréalité et certaines téléséries.

Et que dire de certaines débauches sur toutes les chaînes et tous les réseaux, Le Devoir excepté, où on écoeure l’auditoire ou le lectorat en sautant sur un fait divers autrement anodin qu’on couvre inlassablement des jours durant. Quoi de mieux comme exemple que le traitement incroyablement démesuré qu’on a réservé au cas Myriam Bédard à la fin de 2006 et au début de 2007: deux semaines de mur à mur à la télé comme dans les quotidiens. Plus de temps qu’à l’exécution de Saddam Hussein et à ses conséquences, comme le faisait observer Gil Courtemanche en janvier 2007.

Fais ça court et fais ça vite!

C’est aussi le règne du clip et de la vitesse. L’important, c’est la nouvelle au plus tôt, autant que possible exclusive, qu’importe qu’elle soit inexacte, incomplète ou même, à l’occasion, fausse. On s’ajustera plus tard. À titre d’exemple, une lettre de félicitations adressée à deux journalistes qui avaient eu un scoop mal vérifié, qui s’était retrouvé en une et qui avait été démenti vigoureusement par la suite. L’information qui avait donné lieu à ce texte est restée sans valeur depuis, mais la lettre de félicitations de leur patron disait: «Qui sait si, dans un avenir plus ou moins proche, cette nouvelle ne s’avérera pas. Continuez votre beau travail!» Faut le faire!

Puis, vint Internet. Comme la presse électronique, les journaux ont développé des sites fort bien réalisés et efficaces, qui leur servent, entre autres, à fabriquer leurs vedettes. Les médias écrits n’ont jamais eu autant de titulaires d’un blogue et le nombre de columnists s’est accru de façon quasi indécente. Cela semble servir deux objectifs principaux: cultiver le vedettariat et en profiter bien sûr, puis conforter le point de vue du patron. Ainsi, on peut bien publier une nouvelle qui indispose le boss, on pourra toujours compter sur un escadron de chroniqueurs pour l’interpréter, la réorienter et indiquer ce qu’on doit en penser.

La majorité des journaux tente de rivaliser avec la télévision en faisant de la télé sur papier: gros titres, spread sur deux pages, photos immenses et nombreuses, des colonnes pour les vedettes avec photos démesurées. Il en résulte une diminution du nombre de textes avec des faits (la vraie nouvelle). Tous les journaux du Québec, sauf Le Devoir et The Gazette, n’ont plus de textes en une, laquelle n’est plus qu’une vitrine et rien d’autre. Certains s’en tirent mieux que d’autres au point de vue tirage, mais l’exercice aboutit, dans le meilleur des cas, à remplacer quatre trente sous pour une piastre.

Tous les journaux de la chaîne Gesca ont la même robe en une et tous sont abrités dans le même site Internet, Cyberpresse. Même chose pour les journaux de la chaîne Quebecor: même jaquette et même site Internet, Canoë. On peut bien être d’accord pour partager le même site, s’il peut être de cette façon meilleur. Mais il ne s’agit pas moins là d’une convergence qui gagne du terrain à tous égards.

Que faire?

Les syndicats peuvent-ils faire quelque chose quand ils n’arrivent même pas à convaincre leurs membres de ne pas accepter de propositions qui outrepassent, en primes diverses et en jours de vacances, les dispositions des conventions collectives. Le petit statut particulier reste affriolant…

Des colloques comme celui-ci sont éminemment utiles pour développer une mobilisation et obtenir, au bout du compte, que les journalistes obtiennent un droit au chapitre plus réel dans les entreprises de presse. Il faut favoriser la réflexion, en parler et en parler encore.

Il est clair que les propriétaires des entreprises de presse font du pognon. C’est d’ailleurs leur objectif et il ne s’agit pas ici de s’opposer au profit. L’ex-magnat de la presse, Conrad Black, n’a-t-il pas un jour d’avant ses déboires donné l’heure juste: «C’est un bon commerce!»

Mais à force de rétrécir l’espace et l’énergie consacrés à l’information, il ne restera plus grand-chose pour favoriser l’exercice de la démocratie, surtout si on manipule cet exercice. Combien de fois n’a-t-on pas entendu un chef d’antenne jouissant d’un prestige peu commun présenter une nouvelle en disant le contraire de ce que le topo énonçait!

Le journalisme est sans conteste un rouage majeur de l’exercice démocratique. On peut dire sans se tromper que les partis politiques et les gouvernements seraient tout ce qu’il y a de plus dominateurs s’il n’y avait le chien de garde indispensable que constitue la presse. Et comment pourrait-on contrer la corruption? Déjà qu’ils font tout pour cacher l’information le plus possible, sauf quand il s’agit de couper un ruban…


***
Gilles Normand a été journaliste pendant 40 ans, dont 38 à La Presse. Embauché au quotidien de la rue Saint-Jacques en mai 1967, il a couvert l’exposition universelle, véritable université à ciel ouvert. Sa longue carrière lui a fourni l’occasion de connaître tous les rouages du métier, depuis les faits divers jusqu’à la politique, en passant par les cours de justice, la chronique portuaire, les informations générales, les arts et la culture, sans parler d’un séjour de près de cinq ans au pupitre. Il est devenu correspondant parlementaire à Québec au début de 1989, fonction qu’il a quittée au moment de prendre sa retraite du journalisme, en juin 2005, pour se consacrer à l’écriture romanesque.

1 commentaire:

valentini a dit…

Phare-haillons sur son char


N'importe qui, oui! peut parler à la télé.

Non! Ce n'est pas réservé aux seules vedettes.

Quelle étoile en son coeur ne décline une dette:

pitoyable aveu face à un ciel étoilé.


(lire la suite sur instants-fugaces.net)