La plume m'en tombe des mains devant la question que pose le colloque de la FNC: informer est-il encore d'intérêt public?!... Est-ce possible que le journalisme ait tant muté que l'on ait à envisager pour lui une autre mission que celle d'informer?! Serait-ce que la démocratie n'a plus besoin de ses chiens de garde, comme on appelait les journalistes dans mon (bon?) vieux temps?!
Il est vrai que de retrouver les trois mots «informer», «intérêt» et «public» dans la même phrase paraît surréaliste tellement ils habitent souvent de nos jours sur des planètes différentes. «Informer» n'est-il pas devenu, pour bien des journalistes, une sorte de vieux mantra désincarné et répété machinalement? «L'intérêt», lui, n'évoque-t-il pas celui des propriétaires de médias, en appétit constant de développement d'entreprise et de convergence? Quant à l'épithète «public», n'a-t-il pas perdu son sens de collectivité sociale pour ne nommer que les lecteurs et les auditeurs?
En 25 ans de métier au Journal de Montréal, je n'ai jamais entendu, accolés dans la bouche de mes patrons, les termes «médias» et «démocratie». Ceux de «mission du journaliste» non plus. Le mot «objectif», par ailleurs, a toujours fait partie du paysage. Objectif de «scooper» la compétition, de rejoindre plus de lecteurs (l'intérêt public...), de couper des postes, de hausser les profits, de rationaliser les ressources, de développer la convergence. Est-ce le fait de se sentir ainsi toujours déchirés entre leur mission de journaliste et l'objectif essentiellement économique de l'entreprise qui a rendu tant de mes anciens collègues cyniques et blasés au cours des années? Le cynisme est l'auge des idéalistes déçus, et l'auge est pleine au Journal de Montréal - comme sans aucun doute ailleurs. Comme on ne peut rentrer chaque jour au travail en se méprisant d'avoir abandonné ses idéaux, eh bien, on étouffe ses scrupules par l'indifférence - ou l'adhésion volontaire aux objectifs patronaux -, le sarcasme et le chèque de paye. Dans le meilleur des cas, on se tourne vers l'action syndicale et professionnelle pour tenter d'endiguer les assauts de l'employeur en brandissant la convention collective et les menaces de griefs (ça, c'est quand on est un salarié syndiqué permanent: la précarité a un goût encore plus amer et pernicieux...)
La convergence, dans un tel état d'esprit, s'avale sans sourciller par bien des journalistes. Les citoyens, eux, écrasés devant TVA le soir, et lisant, le matin, le Journal de Montréal avec leur café, se font rouler dans la même farine de la convergence sans même un soupçon d'éternuement. Mais qui les informe des dangers qui menacent l'intérêt public avec cette capture des médias par quelques mains choisies?! TVA? Le Journal de Montréal ?... Faudra-t-il que des MédiaMatin poussent partout au Québec pour que les citoyens, mis en contact direct avec les journalistes, constatent l'ampleur du problème?
La démocratie, il faut dire, est une réalité toujours en mouvement qui n'est pas épargnée par les contradictions. On ne peut nier que l'information - notamment internationale - a pris une dimension imposante sur le plan public, ces dernières années. Les nouvelles technologies ont amplifié le phénomène, ouvrant par ailleurs la voie à «l'infostress» et «l'infobésité» - ces effets pernicieux d'une surenchère quotidienne d'information ingurgitée à toute allure et sans discernement. En même temps, une confusion des genres s'est abattue sur le métier, plaçant tous dans le même panier de l'information - certains plus en haut que d'autres - les reporters, les chroniqueurs, les envoyés spéciaux, les correspondants, les collaborateurs (spécialisés ou non), les animateurs, les critiques, les blogueurs, les éditorialistes, et j'en passe. Au Journal de Montréal, on engage à tour de bras et à peu de frais des collaborateurs spécialisés qui kidnappent les fonctions des journalistes et grugent leur espace rédactionnel. Comment retrouver une information claire, exacte, complète, dans les méandres de l'opinion dont on use et abuse sans vergogne? Il est même rendu de mise de calculer l'importance de l'information en fonction, non pas de l'information elle-même, mais bien en fonction de celui qui la rapporte!
Serait-ce donc que les aboiements des chiens de garde ne se font plus entendre de nos jours pour avertir le public des dangers de l'ombre mais bien pour attirer la lumière des projecteurs sur... eux-mêmes?! L'intérêt des propriétaires de médias en sort peut-être gagnant, mais le public et la démocratie, j'en doute. Alors, vivement un colloque là-dessus! Mais quant à savoir qui informera le public de ces débats, alors ça, c'est une autre histoire...
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Louise Blanchard a amorcé sa carrière de journaliste dans l'information locale, à Montréal, avant d’entrer au Journal de Montréal en 1980 où elle est demeurée jusqu’en 2006. Au cours de ces années, elle a touché pratiquement à tous les secteurs - faits divers, affaires sociales, politique provinciale et municipale - avant d'être affectée à la couverture du cinéma. Elle a aussi profité d'années sabbatiques pour travailler comme attachée de presse à la CEQ, retourner à ses études en philosophie et voyager en Asie avec son conjoint, André Dalcourt; cette sabbatique asiatique a d’ailleurs mené à l'écriture conjointe de deux livres. Également très active au sein de la FPJQ dans les années 80, notamment comme vice-présidente pendant trois ans, elle s’est ensuite impliquée dans son syndicat, le STIJM, comme membre du comité de négociation, puis comme membre du bureau de direction. Depuis qu'elle a repris sa liberté, elle travaille sur des projets de documentaires. Le dernier en chantier porte sur l'évolution du journalisme au Québec.
1 commentaire:
Bonjour Louise!
On se retrouve après à peine 45 et quelques années de séparation. Je t'ai retrouvée tout à fait par hasard au fil de mes lectures Internet. Je ne sais même pas si tu liras cette petite note, ou même si tu te rappelles le moindrement de moi (CEGEP Maisonneuve, Belles-Lettres); à l'évidence, nous avons l'un et l'autre pris un chemin ''quelque peu différent'' par la suite. Je viens de lire ta mouture, et j'avoue avoir été impressionné tant par la qualité de ta plume que par la pertinence de tes idées. Bravo! Certaines choses méritent d'être dites, et tes propos font écho à nombre de tes collègues du métier et d'ailleurs qui partagent ton point de vue mais n'osent pas élever la voix, pour différentes raisons. Merci pour ce vent de fraîcheur.
Michel Germain
LVON98@yahoo.com
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