Daniel Marsolais - Il y a toujours de l’avenir pour le plus beau métier du monde


La plupart des grands bouleversements qui ont marqué l’histoire du merveilleux monde des communications au Québec ont laissé, dans la mémoire de certains d’entre nous, une tenace odeur de poudre.

Qu’importe leur nature ­- technologique ou autre -, ces périodes de perturbation et d’agitation ont en effet souvent dépassé le stade de l’accrochage entre patrons et syndicats pour dégénérer en de longs et épuisants conflits de travail.

Ces affrontements ont laissé d’amers souvenirs dans l’esprit de certains, mais ils ont eu le mérite de pacifier un tant soit peu les relations de travail dans nos médias. Dans les grands journaux, par exemple, le développement de la composition électronique, qui était à l’ordre du jour dès le milieu des années 1960, a scellé le sort de la plupart des métiers de l’imprimerie. À La Presse, avec l’appui solidaire des journalistes et autres employés syndiqués, nos anciens collègues typographes et pressiers ont réussi à civiliser le processus qui allait entraîner rien de moins que leur propre… disparition. C’est donc sans grand enthousiasme, mais tout de même dans l’honneur, qu’ils ont conclu leurs «arrangements préalables». Une autre page venait d’être tournée. Et pour une fois, bravo, sans effusion de sang.

Tout cela, bien sûr, c’est de l’histoire ancienne. Mais rappelons-nous toujours que l’histoire a la fâcheuse habitude de se répéter.

Avec les plus récentes transformations survenues dans ce monde en perpétuel mouvement qu’est l’univers des communications, c’est désormais au tour des journalistes d’être confrontés au syndrome des nouvelles technologies de la communication et de l’information. Et quoi de plus naturel, alors que nous sommes en pleine période de transition, que de se questionner sur l’évolution de notre métier et de ses perspectives d’avenir.

Ce qui me vient spontanément à l’esprit quand j’observe l’évolution de l’univers «mcluhanesque», c’est l’incroyable onde de choc provoquée par l’explosion de l’internet. En quelques années seulement, le web ne s’est-il pas rapidement imposé comme une grande agora électronique où les citoyens, confortablement installés dans leur demeure, peuvent désormais mutuellement échanger des informations, exposer et confronter leurs points de vue, etc.?

Plus encore, les journalistes professionnels d’aujourd’hui, qu’ils soient de la presse écrite ou électronique, ne se voient-ils pas concurrencés par une nouvelle génération de journalistes-citoyens ou de reporters du dimanche, qui, avec leurs caméras numériques, leurs téléphones portables, saisissent eux-mêmes les scènes de l’actualité qu’ils diffusent aussitôt sur le web? N’assistons-nous pas, imperceptiblement, à l’émergence d’une nouvelle forme de journalisme? Un journalisme «hors normes» n’obéissant qu’à cette seule et unique règle si typique de notre époque: COMMUNIQUER à tout venant photos, idées, impressions, etc. sur tout et sur rien...

Certains, et je n’en suis pas, vont même jusqu’à se demander si cette «presse alternative», décrite aussi comme le contre-pouvoir du quatrième pouvoir, ne serait pas en train de devenir la solution de remplacement à la presse traditionnelle… Mais ça c’est une autre histoire et un excellent sujet de réflexion pour un autre colloque...

Quoi qu’il en soit, ce qui est tout à fait extraordinaire avec ce nouvel outil de communication, c’est son immense souplesse, sa très grande facilité de publication, sa non moins grande liberté éditoriale et sa formidable capacité d’interaction avec les lecteurs.

Et pour ceux qui, à juste titre, ont toujours été préoccupés par le pluralisme des sources d’information, ne trouvent-ils pas ici un outil non traditionnel qui contribue à faire avancer un tant soit peu la démocratie?

On dit, pour en vanter les mérites, qu’il fait éclater un système qui a toujours fonctionné à la verticale ( l’émetteur d’informations tout en haut de la pyramide et le récepteur en bas) et qu’il favorise aussi l’épanouissement de nouvelles compétences. Ceci, au détriment du pouvoir des experts (souvent toujours les mêmes), qui exercent une espèce de monopole dans les médias qui les hébergent.

Bien sûr, le web n’est pas sans défauts. Il encourage de façon débridée le narcissisme boutonneux (tout sur moi à la sauce Facebook) et propulse pratiquement au rang de vertu ce besoin contagieux d’imiter les autres dans ce qu’on décrit comme le plus grand réseau social dans le monde...

En dépit de tout, la plus grande force du web c’est peut-être de bousculer un peu l’ordre établi, et surtout de forcer l’industrie des mass-médias et ses artisans à se redéfinir. À cet égard, la question qui devrait être sur toutes les lèvres des journalistes de l’écrit par les temps qui courent est la suivante: combien de temps encore nos journaux, tels que nous les connaissons dans leur forme actuelle, tiendront-ils encore le haut du pavé? Ne sont-ils pas condamnés d’avance à devenir des produits dérivés, dénués de publicité, à tirage restreint et chers?

Que faire?

Avec un pied dans l’ancien monde et l’autre dans le nouveau, le surplace n’est pas une option. Un seul choix s’impose de façon absolue et incontournable. Avancer visière levée tout en gardant constamment à l’esprit que la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de presse, sont des piliers de notre démocratie. Qu’importe le support ou la plateforme…

Il revient aux journalistes de défendre vigoureusement cet idéal démocratique. Comment? En se rappelant que le journalisme n’est pas un métier comme les autres et qu’une des tâches principales des médias d’information est de renseigner le public sur les affaires de la cité. En continuant, en outre, de jouer leur rôle, qui est de présenter le plus honnêtement et rigoureusement possible la réalité de ce monde souvent complexe et antagoniste. En prenant du recul. En faisant de la vraie information, fondée sur l’enquête et le recoupement des faits. Rappelons-nous que des faits qui ne sont pas expliqués n’ont pas beaucoup de signification. Ne sous-estimons pas l’opinion. Elle doit aussi occuper une place importante car elle fait partie intégrante de l’information.

Gardons toutefois à l’esprit que l’information, toute d’intérêt public qu’elle soit, n’en demeure pas moins, prosaïquement, une marchandise qui obéit à des contraintes de rentabilité.

Les médias n’échappent pas aux lois économiques qui les poussent inlassablement à accroître leurs parts de marché. Les patrons des empires de presse aiment bien l’influence que leur procurent leurs médias, mais ils ont une préférence marquée pour le fric qu’il y a à faire dans ce business.

On a vu dans un passé récent à quels excès cela peut parfois donner lieu.Au mépris des règles les plus élémentaires de la déontologie journalistique, Quebecor ne s’est-elle pas livrée impunément à de désolantes et pathétiques incursions dans l’info-pub en «ploguant» systématiquement, au nom de la convergence, les émissions de Star Académie en une du Journal de Montréal et dans les bulletins de nouvelles de TVA? Dénoncée par le Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal, Quebecor n’avait-elle pas rétorqué, via son porte-parole Luc Lavoie, que «Le Journal de Montréal et TVA sont des outils de promotion qui se servent l’un et l’autre et qu’il n’y a rien de mal là-dedans?»

Le plus désolant dans tout cela c’est que le public, par la réception qu’il fait à ces produits qu’on lui offre, est en partie responsable de la situation: en ce sens, on peut certainement affirmer que nous avons bien souvent les médias qu’on mérite!

Toujours dans la famille Quebecor, le long lock-out qui a cours depuis avril 2007 au Journal de Québec devrait sonner des cloches à tous ceux qui prétendent avoir à cœur les intérêts de la démocratie.

Car à n’en point douter, par-delà son aspect régional, ce conflit soulève plusieurs questions de fond qui sont de portée beaucoup plus générale. La direction de Quebecor affirme que les employés du Journal de Québec doivent faire face aux nouvelles réalités du marché, notamment avec le développement d'internet, et exige d’eux qu’ils soient désormais plus polyvalents. Qu’est-ce à dire au juste? Outre la rédaction de textes, on demande aux journalistes de prendre des photos, des images à la caméra numérique, d’enregistrer du son, etc. Cela nous rappelle les premières années de la salle des nouvelles de TQS où les reporters jouaient les hommes-orchestres. L’expérience n’avait pas été très concluante et on en était vite revenu à la bonne vieille division du travail. Mais si ce n’était que ça. Plus fondamentalement, ce que souhaite réellement Quebecor, c’est la possibilité d’utiliser le travail du journaliste sur ses différentes plateformes (web, télé, journaux, etc.) de manière à en accroître la rentabilité.

Dans une logique d’entreprise capitaliste, cette approche se défend parfaitement. Mais nous sommes ici en présence d’un secteur névralgique pour notre démocratie. Moins de sources d’information sont de nature à affecter le débat démocratique. Cet axiome, maintes fois repris, y compris par deux commissions royale d’enquête sur la concentration de la presse au Canada (Davey et Kent), a-t-il encore quelque écho dans nos savanes?

Alors, en conclusion, est-ce à dire que tout est foutu? Allons-nous nous débiner devant ces nouvelles technologies de l’information qui bousculent et remettent en question les modèles traditionnels de transmission de l’information? Allons-nous hisser le drapeau blanc devant ceux qui conçoivent encore les médias d’information comme des planches à billets?

Je ne doute pas un seul instant qu’en faisant de la question Informer est-il encore d’intérêt public? le thème de ce colloque, les organisateurs de la FNC aient voulu être un brin provocateurs. Car, reconnaissons-le d’emblée, à cette question qui tue, une seule réponse s’impose, claire, précise, et que trois petites voyelles résument parfaitement: OUI!

Informer le public (et non le distraire et le divertir) devient aujourd’hui plus que jamais une nécessité à laquelle ni les journalistes ni les entreprises de presse ne peuvent se dérober. Malgré leurs défauts, les médias d’information restent nécessaires. Ne faudrait-il pas d'abord encourager le public à les consulter plutôt que de se contenter de faire étalage de leurs vices en oubliant leurs vertus? La démocratie a besoin des médias et vice versa. Au fond, les limites des médias ne sont-elles pas aussi celles de la démocratie?

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Daniel Marsolais est entré comme journaliste à La Presse en 1969, où il a couvert plusieurs secteurs de l’actualité, dont les affaires judiciaires, l’éducation, le travail, les communications, etc. Il a été président du STIP à la fin des années 1970 et au début des années 1980, et président du Front commun CSN-FTQ des employés de La Presse et de Montréal-Matin. Il a aussi été journaliste au pupitre avant d’être nommé, en 1988, adjoint au directeur de l’information. À partir de 1991, il a occupé le poste de chef de pupitre jusqu’à son départ à la retraite, en juin 2007.

1 commentaire:

FDemers a dit…

Heureusement que les médias et leurs journalistes vont être, sont, jugés par leur utilité face à des problèmes réels:
- l'environnement,
- les défis des univers hindou, chinois, arabo-musulman, sud-américain
- l'inculture dont parle M. Milner à propos des sociétés dites développées
- l'accélération des découvertes du bio-génético-médical.
La vie continue pendant qu'ils placottent.