Jean-Pierre Charbonneau - La «culture de vautour» des médias


L’auteur reprend ici un texte qu’il a écrit au printemps 2005 pour un dossier sur la démocratie publié par la revue Éthique publique. Il s’agit d’un extrait de l’article intitulé «De la démocratie sans le peuple à la démocratie avec le peuple».

Si les manquements éthiques des membres de la classe politique portent lourdement à conséquence sur la participation citoyenne, il en est aussi de même en ce qui concerne les dérapages déontologiques des membres du pouvoir médiatique. Il ne fait plus aucun doute que la déformation des faits, les raccourcis simplistes et sensationnalistes d’un trop grand nombre de journalistes et de commentateurs autant que les interprétations souvent sarcastiques ou tendancieuses et même parfois outrancières sinon carrément vulgaires contribuent largement à alimenter le cynisme ambiant face à la politique et à ses acteurs, tout en nourrissant la nouvelle culture de la politique spectacle et de l’information spectacle.

Le journaliste américain Walter Lippmann en arrivait au même constat déjà en 1921 quand il déclarait que «la crise actuelle de la démocratie occidentale est une crise du journalisme». Qui peut d’ailleurs nier aujourd’hui que les médias sont organisés d’abord comme des objets de consommation plutôt que comme des instruments d’animation des débats démocratiques? Qui peut nier que, plus souvent qu’autrement, les médias divertissent plus qu’ils n’informent? Qui peut nier que les nouvelles sont fréquemment présentées en pièces détachées sans la mise en contexte qui permet de comprendre le sens véritable des événements? Qui peut nier que l’image prime la réflexion et que le but principal est en général d’étonner et de frapper l’imagination plus souvent et plus fort que la concurrence? Qui peut nier que tous les médias ou presque n’en ont que pour le spectacle et l’émotion primaire? Qui peut nier encore que le journalisme d’enquête est sous-développé au Québec et que la course à l’exclusivité dérape fréquemment chez nous comme ailleurs? Qui peut soutenir que les recherches rigoureuses et sérieuses, dans le respect des personnes en cause, sont la préoccupation première des journalistes affectés à la scène politique autant que de leurs patrons?

Je ne procède pas ici à un règlement de comptes. Je fais simplement miens les constats courageux de quelques journalistes émérites qui depuis un bon moment déjà appellent leurs collègues à un sursaut de conscience morale et dénoncent ce que l’éditorialiste en chef du quotidien La Presse, André Pratte, a osé nommer la «culture de vautour» 1 dans laquelle baignent les médias et leurs artisans.

Mettre le doigt sur la responsabilité du «quatrième pouvoir» quant à la mauvaise presse dont la classe politique est l’objet, et surtout quant à la grande inconscience citoyenne et à la forte incompétence civique, n’a pas pour but de diminuer ou de nier la responsabilité des politiciens ni celle aussi des citoyens eux-mêmes. Il est question cependant de souligner que la vie démocratique est plus que jamais tributaire de l’éthique de ceux qui font le lien entre les citoyens et leurs représentants politiques. «L’information n’est pas un des aspects de la distraction moderne, elle ne constitue pas l’une des planètes de la galaxie du divertissement: c’est une discipline civique dont l’objectif est de construire des citoyens.» 2

1. André Pratte, Les oiseaux de malheur, Montréal, VLB éditeur, 2000.
2. Ignacio Ramonet, La tyrannie de la communication, Paris, Galilée, 1999.

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Jean-Pierre Charbonneau a été journaliste au début des années 70, après avoir complété des études en criminologie à l’Université de Montréal. Ses enquêtes sur le crime organisé l’ont conduit à publier, en 1975, un ouvrage imposant sur l’histoire de la pègre montréalaise. L’année suivante, il se lance en politique active. Élu député du Parti québécois dans Verchères, il sera réélu en 1981 et 1985. En 1989, il réalise un rêve d’enfance en allant diriger un programme de coopération en Afrique, mais la guerre au Rwanda l’oblige à revenir. En 1992, il prend la tête de l’opération de sauvetage d’OXFAM-Québec. De retour en politique en 1994 dans le comté de Borduas, il devient président de l’Assemblée nationale en 1996. En janvier 2002, il est nommé ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et ministre de la Réforme des institutions démocratiques. En avril 2003, il devient porte-parole de l’opposition en matière de sécurité publique, puis de santé. Le 15 novembre 2006, il quitte la politique, 30 ans après sa première élection. Il aura siégé au total pendant 25 ans au Parlement du Québec. Il est aujourd’hui analyste, chroniqueur et conférencier, en plus d’être professeur de Tai Chi Chuan.

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