Pascal Lapointe - Le journalisme est-il menacé? (troisième texte)


Internet, planche de salut?

Le lectorat des journaux décline, l’auditoire des bulletins télévisés aussi, et la profession devient de plus en plus précaire (voir les deux textes précédents). Et si Internet était la planche de salut? Grâce à ce nouveau média, jamais le nombre de diffuseurs d’information n’a été aussi élevé n’est-ce pas?

Effectivement, rien qu’avec les blogues, on assiste depuis 2003 à un phénomène extraordinaire: des dizaines de millions de citoyens prennent la parole, et certains de ces «amateurs» le font avec un talent qui ferait rougir d’envie certains professionnels.

Mais les problèmes soulevés dans les deux textes précédents sont également à l’ordre du jour d’Internet.

-> Les journalistes sont-ils interchangeables? Les syndicats s’attristent en voyant que Le Journal de Québec, ce «journal sans journalistes», continue de publier malgré le conflit de travail qui perdure. Or, sur Internet, les plus militants des internautes rêvent justement d’un univers où on n’aurait plus du tout besoin des journalistes: c’est le mythe du «journaliste citoyen». Que leur rêve se réalise totalement, c’est peu plausible; n’empêche que la croissance de l’information produite par des «non-journalistes» n’est pas près de s’arrêter: même les scientifiques s’y mettent!

-> Le travail journalistique vaut de moins en moins cher? On l’a dit, les tarifs à la pige n’ont pas augmenté depuis 40 ans. Or, les tarifs sur Internet se situent dans la même fourchette. Et que dire des «journalistes citoyens» fiers de travailler bénévolement...

-> Le public accorde de moins en moins de valeur à l’information? Déjà, le pourcentage de gens qui achètent un journal diminue depuis 40 ans. Que dire alors de l’ère du «tout-gratuit» instaurée par Internet? Jusqu’ici, tous les médias qui ont tenté d’instaurer une section payante s’y sont cassé les dents.

-> Le contenu a moins d’importance? Les amateurs de magazines et d’hebdos aiment se référer à un passé où les articles étaient plus variés et plus fouillés. En contrepartie, personne ne niera qu’Internet amène sur nos écrans une quantité phénoménale d’information qui nous aurait été sans cela inaccessible. Donc, net progrès pour la démocratie.

Sauf qu’un blogue, aussi bien écrit soit-il, n’a pas le même impact sur la société que le site de Cyberpresse ou de Radio-Canada. Et quand bien même ce miracle se produirait-il - les exemples de blogueurs qui ont décroché des scoops ne manquent pas - se poserait la question de la pérennité: combien de temps un blogueur peut-il tenir le coup, sans revenus?

On rétorquera que la publicité recommence à croître sur Internet. Mais les blogueurs ont intérêt à être patients: les plus gros sites, incluant ceux attachés aux grands médias, sont ceux qui récoltent la quasi-totalité des revenus, pour l’instant.

Et ils n’investissent pas nécessairement en information. À l’automne 2006, Gesca annonçait un investissement de 86 millions $ dans Workopolis, un site d’offres d’emploi. C’est bien davantage dans ce type de contenu que des nouveaux revenus sont espérés.

Dans l’édition 2007 du State of the News Media, on pouvait lire: «les investissements dans les salles de nouvelles en ligne vont continuer de croître. Mais la proportion qui sera consacrée à ce que les journalistes appelleraient de la collecte de nouvelles originales, n’est pas claire. (C’est plutôt) l’aspect technique du processus de diffusion de l’information qui devient une portion croissante du secteur de l’information.»

Une enquête auprès de 239 membres de la Online News Association concluait que les talents les plus recherchés par ceux qui embauchent sont le jugement éditorial (78%), c’est-à-dire le jugement qu’on attend d’un «pupitreur», et la grammaire (70%), puisque le gros du travail consiste en de la réécriture. «Reporting and writing» n’arrive qu’en sixième place (35%). La «valeur» du «chien de garde de la démocratie» est vraiment à la baisse...

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Pascal Lapointe est journaliste depuis une vingtaine d'années. Il est toujours demeuré près du milieu de la pige, comme pigiste lui-même, comme rédacteur en chef de l'Agence Science-Presse, petit média à but non lucratif et porte d'entrée pour les débutants, où il a contribué à former de nombreux journalistes, et à titre de membre du conseil d'administration de l'AJIQ dans les années 1990 et 2000. Il est co-auteur du livre Les nouveaux journalistes: le guide. Entre précarité et indépendance (PUL, 2006).

1 commentaire:

FDemers a dit…

Je suis d'accord: c'est une activité professionnelle "rémunératrice" - le journalisme - qui est mise en cause. Elle ne disparaîtra probablement pas - voir la remontée des agences de presse, les besoins des sites en "dernière heure", les quotidiens gratuits, les besoins des sites de blogues pour une matière de base à commenter - mais elle se fait tasser. Elle se fait replier largement dans l'ombre des pupitres. Après un cycle d'un demi-siècle - je parle pour le Québec - d'importance et de panache, c'est dur à avaler. Se retrouver à jouer un rôle secondaire dans l'expression du débat démocratique alors qu'on paraissait au centre du jeu, c'est pas drôle non plus.