Anne Pineau – La face cachée de la liberté de presse; le droit du public à l’information et à la diversité d’opinions



Généralement conçue comme la liberté d’expression d’un émetteur particulier (les médias), la liberté de presse n’est pourtant pas réservée à celle-ci: elle appartient tout autant, sinon plus, au public.

Depuis longtemps, la Cour suprême a reconnu le principe selon lequel «la liberté d’expression protège autant celui qui s’exprime que celui qui l’écoute» (Ford c. Québec, [1988] 2 RCS 712, p. 767), et «autant le droit de recevoir le message exprimé que celui de le diffuser» (Baier c. Alberta, 2007 CSC 31).

Pour que la société soit et demeure démocratique, il convient donc que les médias puissent diffuser l’information et que les citoyens puissent la recevoir.

Accès à l’information

Une condition sine qua non de cette liberté de presse réside donc dans la capacité pour les médias et les citoyens d’accéder à l’information. La Cour suprême a ainsi reconnu que «des mesures qui empêchent les médias de recueillir l’information et de la diffuser limitent la liberté de presse (S.R.C. c. N.-B., [1996] 3 RCS 480). Récemment, dans Vancouver Sun (2007 CSC 43), la Cour précisait:

« (…) il importe de noter que l’al. 2b) dispose que l’État ne doit pas empêcher les particuliers "d’examiner et de reproduire les dossiers et documents publics" (…) et que "pour que la presse exerce sa liberté d’informer le public, il est essentiel qu’elle puisse avoir accès à l’information" ».

Maintes fois, les tribunaux ont reconnu ce droit d’accès à l’information en matière judiciaire. Mais la capacité d’accéder à l’information administrative et gouvernementale est tout aussi indispensable à une société démocratique. Or, force est de constater l’inadéquation de plus en plus grande des lois d’accès à l’information (fédérale et provinciale). L’enquête nationale sur l’accès à l’information (2007) publiée par l’Association canadienne des journaux donne un aperçu des problèmes actuels d’accès.

Adoptées en 1982 (Québec) et en 1983 (fédéral), ces lois faisaient figure à l’époque, de véritables mesures d’avant-garde. Aujourd’hui, la lourdeur du processus, les multiples restrictions d’accès, les délais interminables et l’impunité dont bénéficient les gestionnaires en cas de refus, compromettent le droit d’accès à l’information et donc, la liberté d’expression et de presse.

Il est grandement temps de revoir de fond en comble ces législations. Même la dernière réforme provinciale qui introduit la divulgation proactive ne sera pas à même de régler le problème des nombreuses restrictions d’accès, la plupart relevant d’ailleurs de la discrétion de l’organisme, ce qui constitue en soi une véritable aberration. Ou bien un renseignement est public, ou il ne l’est pas: comment peut-on admettre qu’il le soit à la discrétion de l’organisme?

Il convient de rappeler que l’information gouvernementale n’appartient pas au gouvernement:

«En langue swahélie, l’un des termes utilisés pour «gouvernement» signifie «secret farouche». Les gouvernements démocratiques, eux-mêmes, aimeraient mieux poursuivre leurs travaux à l’abri des regards du public. Les gouvernements trouvent toujours de bonnes raisons pour justifier leur goût du secret – dans l’intérêt de la sécurité nationale, dans celui de l’ordre public, ou du bien public, et ainsi de suite. Les gouvernements considèrent trop souvent l’information comme leur propriété personnelle, alors qu’ils n’en sont que les gardiens agissant au nom du peuple.» [1]

Les lois d’accès ne sont pas la source du droit à l’information. Ce droit résulte plutôt de la constitution: il découle de la liberté d’expression et de presse, de même que du principe de démocratie qui sous-tend la constitution. Les lois d’accès ne sont que la mise en œuvre de ces libertés. En conséquence, les restrictions d’accès que comportent ces lois sont autant d’entraves à la liberté de presse et d’expression et paraissent dès lors contestables en vertu de la Charte canadienne.

L’info-diversité

Une autre facette des libertés d’expression et de presse concerne l’accès à plusieurs sources d’information et d’opinions diversifiées. Cela paraît tout aussi essentiel au maintien d’une société démocratique.

Par analogie, rappelons ce qu’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Figueroa [2003] 1 RCS 912, au sujet de l’importance de la diversité des opinions politiques:

«28. Comme l’a souvent reconnu notre Cour, la libre circulation d’opinions et d’idées variées revêt une importance fondamentale dans une société libre et démocratique. (…)
Plus simplement, un large débat politique permet à notre société de demeurer ouverte et de bénéficier d’une vaste gamme d’idées et d’opinions.»

Comment assurer cette circulation d’idées et d’opinions?

Notons que la liberté de presse comporte aussi le «droit pour un journal de refuser de publier ce qui va à l’encontre des vues qu’il exprime» (Vancouver Sun [1979] 2 RCS 435). En ce sens, tous les journaux sont d’opinion, même ceux qui s’en défendent. Mais comme le remarque fort à propos le professeur Pascal Durand:

« (…) s’il y a lieu de craindre quelque chose, ce ne sont pas des journaux d’opinion (il n’y en a pas d’autres), mais la soumission de l’ensemble des journaux à une opinion si dominante et si commune qu’elle se fait oublier comme "opinion". » [2]

Les libertés de presse et d’expression garanties par les chartes peuvent-elle s’avérer d’un quelconque secours, constituer un frein au développement d’une pensée unique?

Rappelons d’abord la distinction qui existe entre un droit et une liberté.

«On dit au sujet des "droits" qu’ils imposent à une autre partie une obligation correspondante de protéger le droit en question, alors qu’on dit au sujet des libertés qu’elles comportent simplement une absence d’intervention ou de contrainte.»
(Renvoi relatif à la Public Service Employes Relations Act, [1997] 1 RCS 313, p. 361)

Le rôle de l’État en regard d’une liberté se résume dans la jolie formule «ni bâillon, ni porte-voix». L’État ne doit pas entraver la liberté, mais n’est pas tenu d’en favoriser l’exercice.

On reconnaît toutefois, de plus en plus, que l’État peut, dans certains cas, être tenu de prendre des mesures positives lorsque l’exercice d’une liberté s’avérerait autrement impossible ou trop difficile. Dans l’arrêt Haig [1993] 2 RCS 995, la juge L’Heureux-Dubé indique:

«Selon les appelants, la véritable liberté d’expression ne saurait se ramener au simple droit d’être à l’abri de toute ingérence. Ils se réfèrent, à cet égard, à l’assertion d’Emerson, dans The System of Freedom of Expression, op. cit., à la p. 4, que l’État [TRADUCTION] «doit jouer un rôle plus positif dans le maintien d’un régime de liberté d’expression au sein de la société moderne».

Je partage cette opinion. Il est d’ailleurs généralement accepté que la philosophie de la non-ingérence ne permettra peut-être pas, dans tous les cas, d’assurer le fonctionnement optimal du libre échange des idées.
(…)

… il pourrait se présenter une situation dans laquelle il ne suffirait pas d’adopter une attitude de réserve pour donner un sens à une liberté fondamentale, auquel cas une mesure gouvernementale positive s’imposerait peut-être. Celle-ci pourrait, par exemple, revêtir la forme d’une intervention législative destinée à empêcher la manifestation de certaines conditions ayant pour effet de museler l’expression, ou à assurer l’accès du public à certains types de renseignements.»

Il ne paraît donc pas exclu que des mesures législatives puissent s’avérer absolument nécessaires au véritable respect de la liberté d’expression et de presse. On peut penser à des mesures faisant échec à la concentration des médias; à des mesures d’aide aux médias communautaires; à l’imposition de quotas de contenu, régional ou autre.

Faute pour l’État de prendre de telles mesures positives, la liberté d’expression peut devenir, avec le temps, une pure liberté de propagande. Dans l’arrêt Figueroa, le juge Iacobucci soulignait avec lucidité:

« (…) Si une personne "hurle" ses opinions ou occupe un espace disproportionné sur les tribunes populaires, il devient alors extrêmement difficile pour les autres intéressés de prendre part au débat. Autrement dit, il est possible que la voix de certaines personnes soit étouffée par celles des participants disposant de ressources supérieures pour communiquer leurs idées et leurs opinions à la population en général.»

Bref, il y a bien des façons de bâillonner la liberté d’expression et l’une d’elles peut consister pour l’État à ne pas fournir de porte-voix à ceux incapables autrement de s’en procurer.

Références

1. Andrew Puddephatt, Article 19, Droit du public à l’information: principes relatifs à la législation sur la liberté de l’information, p. 3, disponible à www.ipu.org/splz-f/sfe/foi_ps.pdf

2. Observatoire des médias, Acrimed. Comment se réapproprier démocratiquement l’information? 23 février 2006, disponible à www.acrimed.org/article2283.html

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Anne Pineau, membre du Barreau depuis 1983, est avocate au Service juridique de la CSN depuis 1984 où elle consacre beaucoup de son temps à la recherche, à la formation et à la formulation d’opinions juridiques sur divers sujets reliés aux relations du travail. Elle est également responsable de la fonction conseil sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels de même que du Bulletin d’information juridique.

Pascal Lapointe - Le journalisme est-il menacé? (suite)



Quand on associe dégradation des conditions de travail et dégradation de la qualité du travail journalistique (voir texte précédent), on ressort souvent l’exemple des tarifs au feuillet qui n’ont pas augmenté depuis des temps immémoriaux. Mais on oublie aussi de souligner à quel point cela contribue à faire du journaliste, ce soi-disant chien de garde de la démocratie, un «produit» interchangeable.

-> 1981. Étude du Regroupement des journalistes du Québec, l’ancêtre de l’AJIQ: les pigistes déclarent un revenu annuel de 21 800$, dont 79%, proviennent du journalisme (essentiellement la presse écrite). Pour seulement 57% d’entre eux, la pige fournit l’essentiel des revenus.

-> 1991. Étude de l’AJIQ. Le journalisme ne compte plus que pour 64% des revenus (moyenne: 23 000$, médiane: 18 000$). Et seulement 36% des pigistes disent vivre exclusivement du journalisme. Sans le débarquement des chaînes de télé spécialisées, ce pourcentage serait sans doute encore plus bas.

-> 2002. Sondage de la FPJQ. Les revenus tirés du journalisme remontent à 79%, mais cette remontée est peut-être épisodique, évalue à l’époque Pierre Sormany, considérant la crise du droit d’auteur qui a alors poussé plusieurs pigistes à quitter le milieu.

-> 2006. Étude de l’AJIQ et de la FNC. Les revenus tirés exclusivement du journalisme à la pige totalisaient, deux ans plus tôt, 10 300$ par année. Ces revenus représentaient 47% du revenu total de ces personnes.

On aurait tort de ne s’arrêter qu’au fait que les pigistes ne constituent qu’un cas extrême. Leur situation est au contraire révélatrice de l’évolution dévastatrice du métier: le journalisme dans son ensemble est un «produit» dont la valeur est à la baisse.

Coupures de postes; fermeture de nombreux quotidiens (allez méditer sur cette liste: http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_defunct_newspapers_of_the_United_States); diminution du nombre de lecteurs de journaux depuis 40 ans; diminution des cotes d’écoute des journaux télévisés...

Ajoutez-y le succès fulgurant des journaux gratuits, et surtout d’Internet: pour une grande partie des lecteurs, le choix est désormais vite fait. Entre une information de bonne qualité, mais payante, et une information de qualité moindre, mais gratuite, on va vers l’information gratuite. Les économistes pourraient vous l’expliquer mieux que moi: ce n’est pas bon signe.

Les gourous de l’entrepreneuriat prétendent qu’il suffit de négocier pour améliorer son ordinaire? Cette philosophie fait partie du problème, et non de la solution, comme le révèle l’expérience de Lucie Pagé.

Invitée au congrès 2005 de l’AJIQ, cette correspondante de Radio-Canada en Afrique du Sud, avait fait frémir l’auditoire: les tarifs ridicules, les longues heures de recherche non rémunérées, «les factures en souffrance qu’on finit par brûler»... Comme l’écrivait Fabienne Cabado, «certains auront pu mesurer l’ironie et l’aberration d’un milieu où le sens de la négociation permet à des finissants en journalisme d’obtenir de meilleurs tarifs que cette professionnelle aguerrie».

Si le journaliste était un professionnel aussi valorisé que l’ingénieur, l’avocat ou le plombier (!), on n’en serait pas là.

Or, le journaliste est moins que valorisé: il est interchangeable. Et ici, vous aurez compris qu’on ne parle plus seulement du pigiste: qui se souvient aujourd’hui, alors qu’on parle du conflit de travail au Journal de Québec, de la grève du Soleil, à l’automne 1992? Pendant trois mois, le journal n’a jamais cessé de paraître, sa centaine de journalistes étant remplacée par une vingtaine de cadres. Et une bonne partie des lecteurs n’a pas vu de différence! «Pour moi, écrivait Mathieu-Robert Sauvé quelques mois plus tard, cet événement restera marqué dans nos annales comme une leçon sur la compétence exacte du journaliste, moins irremplaçable que jamais dans les mécanismes actuels de production de l’information.»

C’était en 1992. En avons-nous tiré des leçons depuis?

Références:
Pierre Sormany, «La pige. Les forçats des médias», Le 30, juin 2003, pp. 30-31. Extrait: «Des pigistes mieux formés, qui travaillent depuis plus longtemps, qui consacrent plus d’heures au journalisme... mais qui voient leurs revenus s’effriter.»

Fabienne Cabado, «Lucie Pagé, victime de sa passion», Trente, décembre 2005, pp. 17-18.

Mathieu-Robert Sauvé, Le Québec à l’âge ingrat, Montréal, Boréal, 1993, pp. 174-177.

Liste des journaux des États-Unis «décédés»: http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_defunct_newspapers_of_the_United_States
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Pascal Lapointe est journaliste depuis une vingtaine d'années. Il est toujours demeuré près du milieu de la pige, comme pigiste lui-même, comme rédacteur en chef de l'Agence Science-Presse, petit média à but non lucratif et porte d'entrée pour les débutants, où il a contribué à former de nombreux journalistes, et à titre de membre du conseil d'administration de l'AJIQ dans les années 1990 et 2000. Il est co-auteur du livre Les nouveaux journalistes: le guide. Entre précarité et indépendance (PUL, 2006).

Isabelle Gusse - Médias et intérêts publics



Dans les démocraties libérales, en termes de principe, il va de soi qu’informer est encore et toujours - et se doit d’être - une activité d’intérêt public. Cette croyance bien enracinée puise sa force et sa légitimité dans la référence aux grands droits politiques fondamentaux issus du siècle des Lumières, eux-mêmes garants des libertés de presse et d’expression; et, par extension, dans l’élargissement de ces droits, au droit du public - entendre les citoyens - à l’information.

De nos jours, cette évidence est souvent énoncée, parfois défendue, par de nombreux acteurs qui, a priori, n’ont pas grand-chose en commun en termes de fonctions sociales, de couleurs idéologiques et … d’intérêts: en premier lieu, les journalistes; puis les dirigeants et cadres des grandes entreprises médiatiques commerciales, ainsi que les dirigeants et professionnels des firmes publicitaires, mais aussi des firmes en relations publiques ou cabinets-conseils en communication; enfin, les autorités gouvernementales, ministérielles, les députés et les chefs de parti politique. Précisons que l’on pourrait ajouter à cette liste non exhaustive de ceux qui réfèrent épisodiquement à cette équation «information = intérêt public», les universitaires spécialisés, entre autres, en communication, journalisme, relations publiques, marketing (publicitaire ou politique) et les groupes de pression actifs sur les terrains sociopolitiques les plus divers, dont les syndicats et les groupes communautaires.

Cette «unanimité» sur ce principe qui établit l’équation «information = intérêt public» perd cependant de la vigueur dès que l’on commence à se questionner sur le sens que revêtent, une fois séparés, les deux termes qui constituent l’expression «intérêt public», selon les acteurs qui les évoquent: la notion d’«intérêt» et la notion de «public». Une fois posée cette distinction, l’action d’informer revêt, elle aussi, ses particularités.

Tout cela donne le portrait ci-après* qui met en scène les principaux acteurs de ce qu’il convient d’appeler la communication politique, et tente de mettre en évidence à quoi réfère, pour chaque groupe d’acteurs, la notion d’intérêt, celle de public et l’action d’informer. Ce portrait schématique est certes incomplet, mais les interventions et réflexions issues du colloque Médias et démocratie: Informer est-il encore d’intérêt public? en février 2008, pourraient avantageusement l’étayer de pistes de solutions propices à plus de démocratie.

Plus de démocratie, cela pourrait signifier plus d’informations d’intérêts publics (le pluriel est voulu) destinées à alimenter le jugement politique et la participation des citoyens, soit leur capacité de discuter, de décider et d’agir politiquement. Cela pourrait également impliquer la production de plus d’informations diffusées dans des formats diversifiés, de la nouvelle à l’enquête, de la chronique au reportage pointu. Cela pourrait enfin se concrétiser dans l’existence de médias indépendants, dégagés de la logique des intérêts corporatistes, économiques et marchands, qui puissent opérer dans d’autres lieux - à imaginer et créer - que ceux occupés et contrôlés par les détenteurs des pouvoirs économiques et industriels (les convergentes industries multimédias: presse écrite et électronique, distribution, communication, publicité et relations publiques), eux-mêmes soutenus par les détenteurs du pouvoir politique, partisans du libéralisme économique et de ses deux principaux avatars: la privatisation et la déréglementation de ces secteurs industriels.

* Un portrait des principaux acteurs et de leurs intérêts

—> Acteurs: Les journalistes

La notion d’intérêt = Ce qui intéresse les gens, diverses communautés ou collectivités qui s’informent à même le fruit de leur travail sur les enjeux sociopolitiques, économiques et culturels du moment, nationaux et internationaux.

La notion de public = Les citoyens qui constituent le public de leurs médias (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes, etc.).

Informer = Objectivement, sur des nouvelles considérées par leur média respectif comme étant d’intérêt public, et qui, tout en variant d’un média à l’autre, sont constituées par les mêmes ingrédients de base (proximité, conséquences, célébrité, conflit, intérêt humain, insolite, sexe) et fabriquées (sélection, hiérarchisation) dans un contexte de production et de diffusion déterminé par les lois de l’urgence, du spectacle et de l’argent.

—> Acteurs: Les dirigeants, les cadres des entreprises médiatiques commerciales et les dirigeants et professionnels des firmes publicitaires

La notion d’intérêt = Dans un contexte de forte concurrence entre entreprises, offrir le plus d’espace médiatique possible au plus grand nombre possible d’annonceurs, de manière à accroître les parts de marché publicitaire, les revenus et les profits de ces entreprises (capital financier).

La notion de public = Les consommateurs de médias dont la somme est corollaire de parts de marché publicitaire et d’un accroissement potentiel, pour les annonceurs, de l’achat de leurs produits et services par les consommateurs.

Informer = Subjectivement, sur les qualités intrinsèques des produits et services offerts, mis en scène et en image par les entreprises médiatiques et firmes publicitaires, en fonction des objectifs de communication visés par les annonceurs = marchandisation de l’information.

—> Acteurs : Les dirigeants et les cadres des firmes de relations publiques et des cabinets-conseils en communication

La notion d’intérêt = Dans un contexte de forte concurrence entre firmes et cabinets-conseils, offrir, à titre d’entreprises spécialisées (capital financier), toute une gamme de services de communication à des clients commerciaux, corporatifs ou politiques, désireux de constituer ou de bonifier leur «image de marque» et leurs communications à destination de publics internes ou externes (capital image).

La notion de public = Les publics internes et externes visés par les campagnes d’image commandées par leurs clients.

Informer = Subjectivement, sur les qualités des produits et services offerts, mis en scène et en image par les firmes en relations publiques et communication, en fonction des objectifs de communication de leurs clients = marchandisation de l’information.

—> Acteurs : Les autorités gouvernementales, ministérielles, les députés, les chefs de parti politique

La notion d’intérêt = Dans un contexte de forte concurrence entre partis politiques désireux d’accéder au pouvoir politique, ou de le conserver, ou de gouverner en fonction de priorités établies ou de s’opposer à ces priorités, utiliser les stratégies et techniques publicitaires du marketing politique - empruntées au marketing commercial - pour adapter la teneur de la communication politique («l’offre politique»: programme, positionnement, personnalité, promesses, engagements) aux «demandes et attentes politiques» de groupes sociodémographiques ciblés, et se valoir, principalement, le support des indécis (capital image = capital politique).

La notion de public = Les consommateurs de la politique: citoyens électeurs, citoyens partisans, citoyens indécis, l’opinion publique ou les opinions publiques.

Informer = Subjectivement, sur les qualités intrinsèquement démocratiques d’une «offre politique» (programmatique ou personnalisée):
1) adaptée à la demande de consommateurs politiques;
2) «scientifiquement» mesurée et légitimée par des sondages d’opinion réalisés par des instituts spécialisés;
3) médiatisée par le biais de campagnes de marketing politique mises en œuvre pour le compte de clients politiques, par des firmes publicitaires, des conseillers en communication ou en relations publiques = marchandisation de l’information.

***
Isabelle Gusse est professeure au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal depuis juin 2004. En charge des enseignements en communication politique au programme de premier cycle en Communication, politique et société (CPS), elle s’intéresse à l’étude des acteurs sociaux (entreprises médiatiques, agences de communication, firmes de publicité, organisations politiques) et des supports communicationnels qui assurent la médiatisation du politique dans l’espace public auprès des citoyens. Ses intérêts de recherches portent, par extension, sur le marketing politique et les techniques d’argumentation en communication politique. Au printemps 2005, elle a dirigé le colloque «Médias communautaires en 2005: Les enjeux de la diversité et de l’indépendance médiatiques», organisé en partenariat avec le Département de science politique de l’UQAM, le Département des communications de l’UQAM, et la station communautaire Radio Centre-Ville. Dans la lancée, elle a dirigé l’ouvrage collectif Diversité et indépendance des médias, publié en 2006 aux Presses de l’Université de Montréal.

François Demers - Dire qu’on est guidé par l’intérêt public, ce n’est plus crédible


Les hommes d’affaires sont fiers de ne pas être guidés par cela.
Les politiciens en parlent tout le temps mais c’est un rituel qui fait sourire … ou enrager.
Les avocats et d’autres, de temps en temps, y font référence comme ça, en passant.
L’air du temps est plutôt au scepticisme devant ceux qui prétendent avoir des motivations aussi nobles.
Chose certaine, en sciences sociales, on préfère partir du principe que les acteurs sociaux sont avant tout « intéressés ».
Alors, quand ce sont les journalistes qui se disent défenseurs de l’intérêt public…

Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des individus (journalistes ou autres) qui peuvent être guidés par l’intérêt public dans leur for intérieur… ou dans certaines circonstances.

Cela ne veut pas dire que l’intérêt public n’existe pas en matière d’information publique: il y a des informations qui concernent tout le monde, il y a des informations qui traitent des affaires collectives: la guerre, les taxes, les routes, la pollution de l’atmosphère, la qualité des services de santé, etc.

Alors, posons la question autrement: le journalisme québécois sert-il l’intérêt public? Plus qu’avant? Moins qu’avant?

Ce qui est clair, c’est que les (anciens) médias généralistes sont davantage orientés sur leur propre survie que sur l’intérêt public. Dans l’espoir de conserver de larges clientèles, ils s’accrochent aux formules du journalisme «populaire» qui sont développées depuis le XIXe siècle: plus de faits divers, plus d’émotions, plus d’opinions, plus d’images, etc. À l’évidence, Radio-Canada, TVA, TQS, La Presse et les autres cherchent désespérément à plaire à grands coups de spectacles, d’émotions et d’opinions extrêmes.

Pourtant, certains de leurs contenus continuent à servir l’intérêt public. Ainsi,
les médias, tous ensemble - et leur nombre n’a cessé de croître depuis les années 70 -, continuent de fournir des nouvelles importantes pour la vie collective.

Par contre, c’est de plus en plus à la charge du public de dénicher l’information significative. On peut d’ailleurs interpréter ce mouvement comme une avancée de la démocratie: le public est de plus en plus souverain (veut, veut pas) et il est pris de plus en plus pour donner un sens à l’information fournie. Les choses se passent comme si l’évolution des médias et le journalisme prenaient au mot les beaux discours démocratiques sur l’âge adulte des citoyens (et l’autonomie des internautes)…

Quand même, il me semble qu’il y a deux ou trois choses que le journalisme québécois francophone ne fait pas et qui pourraient aider le citoyen souverain (en matière d’information).
1) La présentation et l’explication des nouvelles par les médias et leurs commentateurs ne mettent pas en évidence que les francophones canadiens vivent dans un ghetto qui rapetisse. C’est à croire qu’il y a trop de monde qui souhaite que ça ne se sache pas – en tous cas, je sais d’expérience personnelle que c’est le cas de très nombreux intellectuels et universitaires. Peut-être parce que cela voudrait dire aussi reconnaître que l’affirmation de la francophonie s’est close avec l’échec de la question québécoise, puis aujourd’hui, avec le plafonnement de la construction de l’identité nationale canadienne?
Il me semble que ça permet de comprendre bien des choses quand on sait
que le rôle central de la question nationale québécoise dans les affaires canadiennes est terminé et que tous les acteurs sociaux, dont les partis politiques, sont en train de s’y ajuster. Et de comprendre aussi que la phase de construction d’une identité canadienne est maintenant terminée et que le Canada a complété sa transition du rôle de territoire satellite de l’Angleterre vers celui de territoire satellite des États-Unis. Bref que la minorité francophone est de plus en plus minoritaire, et va le devenir encore plus.

On comprend en même temps qu’il devient de plus en plus apparent que nous
- le nous, ici, c’est celui des francophones - sommes culturellement Américains. Il y a Céline Dion, il y a aussi les télé-réalités qui glorifient la réussite individuelle (en grimpant sur les épaules des autres) et le succès par la chance parce que le hasard (Dieu?) vous bénit!

2) La présentation et l’explication des nouvelles par les médias et leurs commentateurs ne mettent pas en évidence non plus quatre grandes questions qui s’imposent lentement à l’ensemble de l’humanité, au-delà des frontières:
- Le rapport des riches à ce qu’on appelait y’a pas longtemps encore, le Tiers-Monde ; l’immigration et la guerre en Afghanistan nous en parlent tous les jours;
- l’environnement : les algues bleues, les lacs acides, le passage du nord-ouest, etc.;
- la santé: les pilules, les machines à diagnostic de plus en plus sophistiquées, les hanches et cœurs que l’on remplace à qui mieux-mieux, la chirurgie plastique et le botox… Tout le monde en veut, qui les aura?
- l’éducation: l’échec des garçons, la réforme scolaire ratée, la langue mal écrite, etc. L’éducation est devenue la seule voie de réussite, talent scolaire ou pas. Sinon, c’est les Mcjobs. Ah! J’oubliais la loterie et le show business comme autres échelles d’ascension sociale…

Tout l’Occident blanc, en particulier, et les autres zones développées, dont nous faisons partie, font face à ces défis qui se posent bien autrement qu’avant l’arrivée de la société de consommation et de l’informatique.

3) La présentation et l’explication des nouvelles par les médias et leurs commentateurs ne disent pas clairement non plus que l’organisation du travail - les chaînes de production - se fait maintenant à l’échelle mondiale et que la composition de la main-d’œuvre change pour s’y adapter: une partie minoritaire de la masse des travailleurs devient surqualifiée et sur-spécialisée, et cosmopolite. Les autres sont refoulés vers l’exécution bête. Pour les journalistes, cela veut dire: devenir des vedettes (le fameux star system) qui gèrent leur carrière comme des femmes et hommes d’affaires, ou bien l’ombre et la précarité.

À terme, il va bien falloir que la majorité retourne à l’action collective mais pour l’instant, au Québec, elle tente sa chance en rangs dispersés et joue le jeu de la réussite individuelle, priant que Dieu favorise ses élus (cf. l’esprit du capitalisme calviniste).

Pour les organisations (pour les journalistes, ce sont la FPJQ et la FNC) que le cycle précédent d’affirmation francophone (au Québec et au Canada) a laissé en héritage, il s’agit de durer, de lire les possibles qu’offre le contexte … et d’innover. En attendant des temps meilleurs.

Pendant ce temps, l’information va demeurer indispensable à la vie démocratique et les journalistes, pour la produire, aussi. Les journalistes vont aussi demeurer des employés d’entreprises (publiques et privées) qui les utilisent à bien d’autres fins.

Autrement dit, comme avant, comme actuellement, comme demain, les médias et leur journalisme ne sont qu’en partie une contribution à l’intérêt public. Il y a des périodes plus généreuses et des périodes plus arides (je pense au journalisme commercial des années 1950-60, par exemple).

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FRANÇOIS DEMERS est professeur titulaire au Département d’information et de communication de l’Université Laval (ville de Québec) où il enseigne depuis 1980. Auparavant, il avait été journaliste professionnel pendant 15 ans. Il obtenu un doctorat en science politique (Ph.D.) en 2000; sa thèse portait sur l’émergence de nouveaux quotidiens dans la ville de Guadalajara au Mexique à la faveur des débats relatifs à l’Aléna. Il est l’auteur de deux livres, dont Communication et syndicalisme - des imprimeurs aux journalistes (Éditions du Méridien, automne 1988, 203 pages) et coresponsable de trois ouvrages collectifs. Il a publié des articles savants et des chapitres de livres au rythme moyen de trois par année depuis 1980.
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http://www.com.ulaval.ca/personnel/professeurs/francois_demers/index.php>
Il a créé un cours à distance totalement sur Internet portant sur le journalisme en ligne
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http://cyberjournalisme.com.ulaval.ca/>.
Il est membre de l’équipe de recherche : Pratiques novatrices en communication publique (PNCP).
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http://www.pncp.ca/>.
François Demers a été doyen de la Faculté des Arts de 1987 à 1996.

Joan Fraser - Un message de la présidente d'honneur


Chers collègues,


Par leur travail, les journalistes sont l’un des remparts de la démocratie, valeur centrale de notre société fondée sur le pluralisme des opinions et le libre débat des idées issues de notre diversité. En regard de ce rôle qui vous est dévolu, je veux vous inviter à participer au colloque Médias et démocratie, organisé par la Fédération nationale des communications (FNC-CSN), qui se tiendra à Québec, le week-end du 1er au 3 février 2008.


J’ai accepté la présidence d’honneur de cet événement parce que je crois qu’il est impératif que les travailleurs et travailleuses des médias s’accordent un temps d’arrêt et de réflexion, si bref soit-il, afin d’évaluer lucidement le cadre dans lequel ils évoluent et leur attitude face aux attentes du public lecteur, auditeur, téléspectateur ou internaute.


Ce colloque est donc une occasion d’imprimer votre regard critique sur l’évolution de nos organes de presse et des grands enjeux qui les confrontent en ce 21e siècle. La convergence des médias, leurs choix journalistiques et les moyens mis en place pour les alimenter, seront certes au cœur de nos discussions.


Au milieu de la turbulence qui secoue notre milieu en constante remise en question, plusieurs aspects méritent d’être débattus par les acteurs de premier plan que vous êtes : nouveaux médias, propriétés croisées, droit du public à diverses sources d’information, droit d’exercer le rôle d’informer sans entrave, tout en disposant des ressources nécessaires pour livrer une information complète et de qualité.


Me considérant toujours des vôtres, même dans ma fonction actuelle où je défends toujours les valeurs que vous partagez, je serai heureuse de vous retrouver dans la magnifique capitale du Québec.


Je vous y attends en grand nombre.


Joan Fraser



Madame Joan Fraser siège au Sénat depuis le 17 septembre 1998. Elle fut auparavant journaliste, éditorialiste en chef et rédactrice en chef au quotidien montréalais The Gazette. De 2003 à 2005, à titre de présidente du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, elle a pris une part active à une vaste étude sur les médias canadiens dont le rapport final a été déposé en juin 2006 (voir www.senate-senat.ca/transcom.asp).

Gilles Lesage – Le salut de l’information n’est pas dans le clip


L’auteur reprend ici la conclusion du dossier sur l’information qu’il a signé dans la revue RND de février 2006 (vol. 104, no 2, pages 1 à 14) sous le titre : Où donc s’en va l’information?

Ce qui prime, désormais, c’est la course contre la montre, le va-vite, la surenchère des manchettes contradictoires, la recherche effrénée des primeurs (les fameux scoops), l’action-réaction continuelle du matin au soir, tel un carrousel étourdissant.

(…)

De façon générale, la presse est suralimentée. Ce n’est pas de disette dont elle souffre, mais de surabondance. Une masse souvent informe, pléthorique, répétitive, cyclique. Avalanche un jour, pénurie aux fêtes de fin d’année et en juillet. Concurrence et mimétisme, consensus et censure des pairs, grégarisme et solos!

(…)

Pour reprendre le mot de l’ex-premier ministre Jean Lesage, la presse, «le ministère de l’Opinion publique», mérite les plus grands égards, même si ses représentants sont loin d’être toujours à la hauteur. L’information est utile, nécessaire. Ainsi que le répétait souvent Claude Ryan, petit à petit, l’eau du ruisseau finit par percer le rocher…

Le salut de l'information, s'il en est un, n'est pas dans le flash, le clip fugace ou l'impro... improvisée, mais dans l'explication et l'analyse, d'une part, et dans le commentaire et la prise de position, d'autre part.
Les faits, d'abord et avant tout.

À chacun son rôle, loin des pitreries et du galimatias des humeuristes.
En somme, retour à l'essentiel, à une presse moins obèse et plus alerte.
Globalement, cela signifie qu'il faut s'en remettre, en dépit des dérives, aux principes de base de notre métier: l'exactitude et la précision des faits, d'une part, et la vérification et la rigueur, de l'autre, sans raccourcis, toujours tentants et commodes.

Et pour faire bonne mesure, une bonne dose d'intégrité et de respect, envers les autres et envers soi-même.

La liberté de la presse et le droit du public à une information complète, rigoureuse et courageuse, sont à ce prix.

***

Gilles Lesage a pris sa retraite en 1999 après une carrière de 40 ans comme journaliste, principalement au Devoir, où il a été chroniqueur politique, éditorialiste et correspondant parlementaire. Trois prix importants ont souligné l’excellence de son travail : en 1988, le prix Jules-Fournier du Conseil de la langue française; en 1993, le prix Olivar-Asselin de la Société Saint-Jean Baptiste, et en 1995, le prix René-Lévesque de l’Association des journalistes indépendants du Québec. Il a également siégé au Conseil de presse et a été chargé d’enseignement en journalisme à l’Université Laval et à l’Université de Montréal. Enfin, Gilles Lesage a été fait chevalier de l’Ordre national du Québec en 1999 et chevalier de l’Ordre de la Pléiade en 2000.

Anne-Marie Voisard - Revenons aux bases du métier avec rigueur et... humilité!


Rigueur. Ça implique le respect des faits et qu'on ne néglige aucun effort pour transmettre une information juste et la plus complète possible. Plus facile à dire qu'à faire. Mais surtout humilité. Ce qui, en cette ère de vedettariat, risque fort d'étonner. Un journaliste humble! L'idée paraît farfelue, tellement elle est loin de la réalité. Pourtant, elle ne veut que nous ramener aux bases du métier. Les têtes enflées ne savent pas bien écouter, ni regarder. Or il le faut. L'exactitude du message en dépend. Notre crédibilité aussi.

Bien sûr, le colloque Médias et démocratie permet de dénoncer la convergence, la concentration des entreprises de presse, la soif de profit au détriment de l’intérêt public, etc. Mais il n'empêche pas de s'interroger sur nos pratiques. Et de voir à quel point nous facilitons la vie de ceux qu'on blâme. Des vedettes? C'est ce que cherchent les patrons. À la télévision, à la radio, dans les journaux. Chronique d'humeur! C'est également le rêve du journaliste le moindrement ambitieux. Et l'ambition n'est pas ce qui manque dans notre petit monde. Combien, secrètement (mais pas toujours…), se prennent-ils pour Pierre Foglia?

Tous ne deviennent pas «columnists». Mais ça ne prive pas les autres d'introduire leurs états d'âme ici et là dans leurs reportages. Le «je» jouit d'une popularité sans bornes. Les conseils pleuvent. C'est une nouvelle façon de faire la morale. Faites ce que «je» dis.

Pendant ce temps-là, on néglige de fouiller les dossiers. À quoi bon, puisque le boss nous incite à produire vite et court. Pas besoin de se fatiguer. L'important, c'est d'attirer l'attention, de cultiver l’art de se faire remarquer parmi les collègues. C'est le règne de l'information-spectacle. Du chacun pour soi.

La compétition est forte, même chez les permanents. Comme si ça ne suffisait pas d'avoir la sécurité d'emploi, plusieurs ajoutent un deuxième statut, celui de pigiste ou de collaborateur, qui permet d'arrondir les fins de mois et d'avoir son nom sous diverses rubriques. Ce qui était une exception est presque devenu la norme. C'est bon pour l'image. La carrière a des chances de s'en porter mieux.

Le militantisme dans tout ça? Le syndicat sert-il encore à défendre des valeurs, tel le droit du public d'être informé? Se limite-t-il aux seuls intérêts des membres? Il y a lieu, au moins, qu'on s'interroge.


***
Anne-Marie Voisard, qui demeure active comme journaliste indépendante, a pris sa retraite du quotidien Le Soleil en 2006. Elle y avait été embauchée en 1961 pour travailler aux pages féminines. Après avoir quitté le journal quelques années pour compléter un bac en pédagogie, elle y revient et se retrouve, au moment de la création des cégeps, affectée à l'éducation. Comme journaliste, elle a touché à tout: littérature, éditorial, dossiers à caractère social... Au cours de ses six dernières années au Soleil, elle a supervisé les stages en journalisme. De sa carrière, on retient deux faits parmi d'autres: en 1980, elle reçoit le prix Judith-Jasmin pour une série d'articles, Alcool et Travail. Pour elle, c'est un baume, au terme d'une bataille qui l'a menée jusqu'en Cour suprême. La cause? Un texte jugé trop critique par le directeur de l'information d'alors, qui lui en avait substitué un de son cru.

Programme du colloque

LE VENDREDI 1ER FÉVRIER 2008

HÔTEL PUR - QUÉBEC

FOYER DE LA SALLE SAINT-LAURENT
  • 17h30 Cocktail de bienvenue
  • Table d’accueil et remise du document de travail
SALLE SAINT-LAURENT
  • 18h15 Ouverture du colloque par l’animateur, monsieur Denis Guénette, journaliste à Radio-Canada
  • 18h20 Mot de bienvenue de la présidente de la FNC,madame Chantale Larouche
  • 18h30 Allocution de monsieur Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes
  • 19h Allocution de madame Joan Fraser, présidente d’honneur du colloque
  • 19h30 Soirée libre

LE SAMEDI 2 FÉVRIER 2008

FOYER DE LA SALLE SAINT-LAURENT
  • 8h à 9h Table d’accueil et remise du document de travail
SALLE SAINT-LAURENT
  • 9h Présentation du thème et du déroulement de la journée par la présidente de la FNC, madame Chantale Larouche
  • 9h15 Présentation des résultats de l’enquête menée auprès des journalistes québécois par le professeur Marc-François Bernier de l'Université d'Ottawa
FOYER DE LA SALLE SAINT-LAURENT
  • 9h45 Pause (café, jus)
SALLES D’ATELIER*
  • 10h Discussions visant à établir un diagnostic autour des thèmes :

La mission des journalistes et celle des médias sont-elles toujours convergentes ?


Qu’est-ce qui a changé, et qu’est-ce qui changera dans la pratique du métier ?

Dans chaque atelier, un panel d’invités lancera le débat et contribuera à faire avancer les réflexions. Un animateur verra au bon déroulement des discussions.

FOYER DE LA SALLE SAINT-LAURENT

  • 12h Dîner buffet
SALLE SAINT-LAURENT
  • 13h15 Rapport-synthèse des ateliers**
SALLES D’ATELIER*
  • 14h Discussions visant à explorer des pistes de solution autour des thèmes :
Les travailleurs des médias d’information veulent-ils et peuvent-ils jouer un rôle pour assurer une meilleure démocratie ?

Quel message public les associations de journalistes et leurs organisations syndicales doivent-elles porter ?

Le déroulement des ateliers suit le modèle du matin.

FOYER DE LA SALLE SAINT-LAURENT
  • 16h Pause (café, jus)
SALLE SAINT-LAURENT
  • 16h15 Présentation par le comité de la FNC sur la multiplication des plateformes d’une courte vidéo réalisée à la suite d’un vox pop tenu au printemps 2007
  • 16h45 Rapport-synthèse des ateliers de l’après-midi**
  • 17h30 Période de réactions et commentaires de la salle en présence de monsieur Aidan White, madame Joan Fraser et madame Chantale Larouche
  • 18h Soirée libre

LE DIMANCHE 3 FÉVRIER 2008

FOYER DE LA SALLE SAINT-LAURENT
  • 9h Petit-déjeuner buffet
SALLE SAINT-LAURENT
  • 9h30 Allocution de monsieur Alain Girard, premier secrétaire du Syndicat national des journalistes (France) portant sur la campagne européenne Debout pour la défense du journalisme ! (suivie d’une courte période de questions)
  • 10h15 Allocution de Linda K. Foley, présidente de la Newspaper Guild of America, portant sur la campagne Save Journalism, Democracy Depends on It (suivie d’une courte période de questions)
  • 11h Allocution de la présidente de la CSN, madame Claudette Carbonneau
  • 11h20 Clôture du colloque par la présidente de la FNC, madame Chantale Larouche
* A workshop in english will be available if there is enough demand for it.

** Des comptes rendus plus complets des ateliers seront inclus aux Actes du colloque.

Pascal Lapointe - Le journalisme est-il menacé?




D’un côté, il y a ceux qui disent qu’entre concentration de la presse, coupes budgétaires et précarisation de la profession, le journalisme comme « chien de garde de la démocratie », est une espèce en voie de disparition. De l’autre, il y a ceux qui taxent les premiers d’alarmistes, alléguant que la société « aura toujours besoin de journalistes ».

Peut-être ont-ils raison tous les deux? Peut-être que la profession continuera de s’affaiblir, mais qu’elle survivra malgré tout. Et si on essayait d’établir un consensus? À partir de quel seuil serait-on tous d’accord, même les « optimistes », pour dire qu’il faut commencer à s’alarmer?

Alors que la plupart des études sur l’évolution de la presse s’attardent aux considérations statistiques (moins de pages, moins de correspondants à l’étranger, moins de lecteurs, etc.), la Fédération internationale des journalistes, en 2006, s’est intéressée à des choses plus floues, mais fondamentales : la montée du travail précaire a-t-elle un impact sur la qualité de l’information? Et les réponses sont unanimes : oui.

« Dans les pays où de nombreux journalistes sont employés dans le cadre de contrats à durée déterminée renouvelables indéfiniment, les réponses ne dissimulent pas que les journalistes sont soumis à des pressions pour que leurs articles soient moins acerbes, plus commerciaux et laissent entendre que les chances de renouvellement de leur contrat pourraient être en danger. »

Avec la précarité vient une plus grande difficulté à monter des projets de longue haleine. Même les quotidiens et les réseaux de télé ne financent que rarement du journalisme d’enquête chez leurs salariés permanents : imaginez la situation chez les pigistes!

« Plusieurs organisations dénoncent le recul du journalisme critique et d’investigation, les journalistes n’étant pas suffisamment rémunérés pour mener à bien d’intenses recherches... Au Danemark et en Allemagne, les journalistes employés à temps plein sont invités à couvrir une palette de métiers... En Allemagne, les free-lance sont insuffisamment rémunérés pour assurer du journalisme d’investigation... En Belgique, les free-lance doivent produire plus en moins de temps et le contenu s’en trouve souvent allégé. Au Mexique, la demande de journalisme dit « déclaratif » est à la hausse par opposition au journalisme d’investigation. La charge de travail des journalistes n’a cessé de gonfler, la plupart d’entre eux travaillent pour les médias numériques et traditionnels, mais les rémunérations n’ont pas augmenté au rythme de l’accroissement de la charge de travail. »

En région, c’est encore pis. Dans les Laurentides, Lise Bélanger, « journaliste indépendante amoureuse de sa région » était, en 2004, payée 34$ le feuillet chez Médias Transcontinental (où la convention collective définit pourtant ces conditions). Qui plus est, la journaliste devait assumer tous ses frais de recherche, de déplacement ou de repas! « Je n’ai pas tellement de marge de manoeuvre pour négocier de meilleures conditions », déclarait-elle à sa collègue Denise Proulx, également pigiste dans la région des Basses-Laurentides. Et il existe pire encore!

Pourquoi n’est-il pas possible de négocier? Les gourous de l’entrepreneuriat n’ont pourtant de cesse de répéter que « quand on veut, on peut ». Or, il faut croire que ce n’est pas aussi facile, puisque même un vétéran du journalisme à la pige comme Danielle Stanton (L’actualité, La Gazette des femmes) déclarait l’an dernier dans Le Trente qu’il lui avait fallu une dizaine d’années de métier avant de négocier. Et que même à un tarif que la majorité des pigistes jugeraient très respectable —200 à 250$ le feuillet— « si je calcule mon taux horaire, ce n’est pas si généreux! »

La raison fondamentale, c’est que le marché est « complètement débalancé », selon Jean-Sébastien Marsan, président de l’AJIQ de 2002 à 2007. Une trop grande concentration de la presse, face à trop de journalistes précaires, que les écoles continuent de produire en trop grand nombre. Or, l’Histoire nous apprend qu’une surabondance de travailleurs a toujours eu pour effet d’abaisser la qualité des conditions de travail.

***


Sources :
Fédération internationale des journalistes, Étude sur le travail précaire dans le secteur des médias, 2006 : http://www.ifj.org/default.asp?Index=4175&Language=FR
Denise Proulx, « Pour le meilleur et pour la pige », Le 30, octobre 2004, pp. 21-22.
Anick Perreault-Labelle, « Demandez, et vous recevrez », Le Trente, juillet 2006, pp. 21-23.
Jean-Sébastien Marsan, Devenir son propre patron? Mythes et réalités du travail autonome, Éditions Écosociété, 2001, 147 pages.


***


Pascal Lapointe est journaliste depuis une vingtaine d'années. Il est toujours demeuré près du milieu de la pige, comme pigiste lui-même, comme rédacteur en chef de l'Agence Science-Presse, petit média à but non lucratif et porte d'entrée pour les débutants, où il a contribué à former de nombreux journalistes, et à titre de membre du conseil d'administration de l'AJIQ dans les années 1990 et 2000. Il est co-auteur du livre Les nouveaux journalistes: le guide. Entre précarité et indépendance (PUL, 2006).

Laurent Laplante - Que font les médias de la notion d’intérêt public?


Ce texte, reproduit ici avec la permission de l’auteur*, a servi de référence lors d’un échange intervenu en octobre 2004, sous la gouvernance de Florian Sauvageau, entre Julius Grey et Laurent Laplante, à la Bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec. À l’époque, la controverse était vive autour du sort qui attendait la station CHOI-FM menacée par le CRTC d’une suspension de son permis de diffusion.


J’annonce immédiatement mes couleurs. Je suis allergique à la censure. Même s’il m’arrive de détester certains propos proférés par les médias, je préfère subir cet inconvénient que réclamer la censure et surtout la censure préalable. Rien dans la suite de mes propos ne devrait occulter ce repère. D’autre part, mes commentaires viseront certaines activités médiatiques plus que d’autres : l’information et les affaires publiques plus que les oeuvres de fiction, l’écrit et la radio plus que la télévision, le secteur public plus que le privé... Je ne condamne pas le reste, je circonscris mes observations.

J’avoue manquer de sérénité quand je scrute la relation actuelle des mass-médias avec l’intérêt public. La montée en puissance du néolibéralisme affadit tellement l’intérêt public que s’amplifie une crainte : les médias sont-ils désormais dispensés, se sentent-ils désormais dispensés d’une préoccupation civique ? Mon inquiétude s’alourdit du fait que le secteur public de la radiotélédiffusion réagit aussi mal à l’influence du néolibéralisme que le secteur à but lucratif et que les journalistes eux-mêmes ne distinguent pas toujours nettement leurs intérêts corporatifs et les besoins sociaux.

Comme je ne crois pas à l’objectivité, ni à la mienne ni à celle des autres, je n’ai aucun mérite à reconnaître d’entrée de jeu que le filtre à travers lequel j’évalue la relation entre l’intérêt public et le monde du journalisme et des mass-médias est teinté. Par le gris plus que par le rose.

1. Un bilan contrasté

Parodions Shakespeare un instant : tout n’est pas pourri, loin de là, dans le royaume des médias. On y trouve du bon, du mieux, du déplorable. Ceux et celles qui ont connu les médias et le journalisme d’avant la révolution tranquille peuvent témoigner d’indéniables et importants progrès. Ce que Georges-Émile Lapalme, dans ses Mémoires, raconte de la vénalité à peu près généralisée des journalistes n’était que trop vrai, mais cela appartient à une époque révolue sauf peut-être, paradoxalement, dans le domaine sportif et dans celui des arts où la promiscuité réduit parfois à presque rien le recul critique. De façon globale, je le répète, l’assainissement fut réel. La syndicalisation des salles de rédaction a amélioré les conditions salariales du métier et provoqué une heureuse épuration des moeurs.

La révolution tranquille a également sonné le glas de la censure. (Il n’est pas dit que l’autocensure liée au carriérisme ait subi le même sort, mais cela relève d’une autre analyse.) On n’imagine plus que L’amant de Lady Chatterley divise la Cour suprême, que Les Fées ont soif mobilise l’opinion, que La Belle de céans scandalise une partie de l’auditoire de Radio-Canada, que I, A Woman, Les Ballets Africains et Playboy jettent dans les transes une escouade de la moralité. Même dans des domaines spécialisés comme celui de la chronique judiciaire, le changement est patent. Julius Grey le dirait avec plus de compétence que moi, la crainte révérentielle qui empêchait les journalistes de critiquer les décisions des tribunaux n’intimide plus beaucoup. Autant de motifs de réjouissances.

L’autre versant du bilan est plus équivoque et souvent moins glorieux. Dans son survol du journalisme québécois, Jean de Bonville montre fort bien qu’une logique marchande a pris le pas sur l’allégeance politique. Sont disparus les journaux ostensiblement rattachés à un parti, comme Montréal-Matin et Le Jour ou Le Soleil d’une certaine époque ; ont prospéré à leur place les journaux généralistes préoccupés surtout de gonfler leur lectorat, comme La Presse. Ils imposent discrètement leurs préférences politiques et sociales, mais ils ne les brandissent plus comme des oriflammes. Ces journaux modernes cherchent tantôt à offrir un dénominateur commun au plus populeux auditoire possible, tantôt à satisfaire une série de ghettos parallèles grâce à des rubriques spécialisées qui vont des mots croisés à la chronique d’horticulture.

Au passage, on a converti la grande majorité des hebdomadaires régionaux en circulaires blafards et déprimants. Au moment où Réginald Martel animait à la radio de Radio-Canada l’émission hebdomadaire Regards sur le Canada français, il pouvait puiser à pleines mains dans Le Clairon maskoutain, La Frontière, Le Canada français, L’Écho du Nord, Le Progrès du Golfe, L’Écho du Bas-Saint-Laurent, L’Écho abitibien, etc. On parle encore des régions à l’occasion de campagnes électorales ou de colloques, mais les conglomérats urbains les ont privées de la plupart de leurs moyens d’expression.

On a assisté aussi au changement de la garde à l’intérieur des quotidiens : des gestionnaires ont succédé aux grands patrons de presse. Ce n’est plus un Jean-Louis Gagnon, un Gérard Filion, un Gérard Pelletier ou un Claude Ryan qui détient et exerce le pouvoir suprême, mais un personnage plus familier de la finance que de l’analyse politique ou sociologique. Certains jugeront qu’un tel changement de la garde équivaut à une censure préventive ; je ne les contredirai pas.

L’avènement des nouvelles technologies a contribué à modifier les relations de travail et les rapports de force entre les parties patronales et les syndicats. Linotypistes et typographes ont cédé le pas aux maquettistes et aux informaticiens. Pendant les conflits de travail, la ligne de piquetage ne signifie plus grand-chose et l’on a assisté au cours des récentes années à des grèves de quotidiens qui ne parvenaient même pas à interrompre la publication. Si les journalistes de Radio-Canada débraient ou sont mis en lock-out, les députés fédéraux posent moins de questions que si disparaît la Soirée du hockey. Si l’intérêt public est encore présent dans les esprits, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il se manifeste discrètement.

Autre modification substantielle dans la façon d’assurer le service public, les récentes décennies ont modifié si souvent la notion de concentration de la presse que ses conséquences n’apparaissent plus clairement . Il fut un temps où une personne ne suscitait nulle protestation si elle possédait l’ensemble des médias d’une région et même davantage. Pensons à Jules Brillant à Rimouski : CJBR, CJBR-TV, Le Progrès du Golfe, L’Écho du Bas-Saint-Laurent, Quebecair, La Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent, etc. En Estrie, c’était le règne de Desruisseaux. Dans le Nord-Ouest, celui de Gourd. Par la suite, ce type de concentration a été contesté, puis remplacé par une autre concentration. Radio-Mutuel, Télémédia, Gesca, Hollinger... pouvaient contrôler une série de médias d’une même « espèce ». Je saute les étapes qui, de nuances en subtilités, ont conduit à la situation actuelle. Que le câblodistributeur soit propriétaire d’une chaîne de télévision et le relayeur des autres ne constitue plus, paraît-il, un risque de concurrence déloyale. On n’interdira pas non plus la « synergie » du consortium qui utilise un journal quotidien pour mousser la programmation de sa télévision ou les best-sellers de ses maisons d’édition. Concentration ? Non. Synergie. Et totale résignation au néolibéralisme. Les gouvernements affirment ne pouvoir rien faire. Il fut pourtant une époque où le gouvernement central sourcillait quand des entreprises canadiennes inscrivaient dans leurs dépenses d’exploitation la publicité payée à Reader’s Digest ou à Time. Tout comme il fut un temps où le tarif postal de deuxième classe constituait un soutien discret à la distribution des médias écrits. L’intérêt public ne se limitait pas à des commandites arbitraires et illégales.

En ce qui a trait au raffinement, au respect de la langue ou de la culture, le fossé s’élargit entre l’époque où Radio-Canada présentait des téléthéâtres, des Heures du concert, Radio-Collège, Pays et merveilles... et celle-ci. La télévision publique affirme ne pas se laisser dicter sa programmation par les cotes d’écoute, mais comment la croire ? Quant à la radio de Radio-Canada, elle semble chercher sa vocation. Pour ne donner que de rapides illustrations, la littérature ne fait plus partie des domaines scrutés de façon systématique et la musique classique est menacée d’extinction. La radio de Radio-Canada excelle d’ailleurs à faire indirectement ce qu’elle n’a pas le droit de faire directement. Puisqu’elle n’a pas le droit d’accepter des commerciaux, elle multiplie les invitations à aller voir ce qui est présenté à la télévision de Radio-Canada... où la réclame est permise.

Quant aux journalistes, leurs interventions dans le débat public oscillent entre le souci corporatiste et l’authentique préoccupation sociale. Certes, ils interviennent quand la concentration procède à une nouvelle offensive, mais ils semblent s’inquiéter des éventuelles pertes que de la décroissante diversité de la presse. La motivation n’est pas davantage univoque quand la presse proteste contre une magistrature qui déplore les dérapages survenus à l’intérieur des palais de justice. Dans le procès de Robert Gillet, plusieurs médias ont pourtant ouvertement incité la foule à faire pression sur le cours de la justice. La Fédération professionnelle des journalistes commence souvent par monter aux barricades pour défendre le droit du public à l’information avant de se demander si les médias ne manifestent pas un dangereux mépris des institutions et des présomptions d’innocence. Les journalistes ne semblent pas non plus préoccupés des contraintes que leur corporatisme fait peser sur le Conseil de presse.

2. Un secteur névralgique

Que le néolibéralisme règne, cela ne constituera pas une révélation pour qui que ce soit. Pour plusieurs, ce n’est même pas un sujet d’inquiétude. Soit. Mais que le néolibéralisme soit laissé à sa seule dynamique dans le domaine des médias et de l’information, voilà, selon moi, qui pose problème. Ce n’est plus d’exception culturelle qu’il faut parler, mais de l’espace vital requis par la démocratie, la culture, la santé sociale.

Pourquoi isoler ce secteur ? À cause de sa nature spécifique et des enjeux qui lui sont propres. Les médias assument, qu’on s’en souvienne, une double nature : ils sont à la fois des entreprises à but lucratif et les dispensateurs de l’information et de l’analyse, à la fois des organisations libres de se rentabiliser et les garants d’une emprise démocratique sur les activités de la société. Pas de démocratie sans citoyens informés. Pas de démocratie sans une presse libre, diversifiée, fiable. Pas d’identité civique non plus si nul ne renseigne les citoyens sur les pressions économiques propices à l’homogénéisation. Pas de société lucide et solidaire sans une vie intellectuelle et culturelle déployée sur divers paliers. Sur chacun de ses fronts, la presse porte des responsabilités lourdes et précises, car l’intérêt public est mis en cause. Ce qui précède a quelque peu déblayé, j’espère, le sens que donnent (ou ne donnent pas) les médias à l’intérêt public.

Si l’on admet que la vie démocratique requiert une telle presse, une telle information et une telle vie culturelle, la réflexion s’oriente vers les moyens d’obtenir ce résultat. Peut-on faire aveuglément confiance au libre marché et attendre de lui qu’il crée, développe et maintienne la liberté de l’information, sa diversité, sa fiabilité, sa sensibilité à la culture ? Formulée à la lumière de l’actualité, la question devient celle-ci : les attitudes actuelles de la presse incitent-elles à la confiance ou à l’inquiétude ? Si l’on croit que tout va bien, laissons aller les choses et félicitons les médias de leur dévouement à la chose publique. Dans l’hypothèse où la prudence paraît de rigueur, il faudra réussir différentes harmonisations. Réconcilier les droits des médias et la nécessaire défense de l’intérêt public. Réconcilier la liberté des entreprises d’information et les droits de la société en la matière. Harmonisations délicates, accommodements difficiles.

Les médias du secteur privé sont, dans l’immense majorité des cas, des entreprises à but lucratif. Quelques exceptions existent, mais rien qui puisse empêcher la quête de profit de constituer la tendance lourde. Cela admis, les corollaires sont vite observables. J’y reviens en fusillade : regroupements des titres, économies d’échelle réelles ou appréhendées, fusion des salles de rédaction, culte de la synergie, recours de tous à une poignée d’agences de presse, recours au travail précaire... Ainsi le veut la logique marchande à laquelle les médias, comme les autres entreprises à but lucratif, se soumettent spontanément. Tant qu’il n’y a pas collision entre cette logique et les besoins fondamentaux d’une société démocratique, on croit avoir atteint le point d’équilibre. Si, par contre, la concurrence devient féroce, si le marché est sollicité par un plus grand nombre d’intervenants, si la marge bénéficiaire commence à fondre, si on pense l’accroître par les fusions et les synergies, l’industrie a tôt fait de réclamer (ou de s’octroyer) une plus grande marge de manoeuvre.

Cette situation est d’observation courante. S’il n’y a pas surveillance et réglementation, les commerciaux charcutent la création, les contingentements visant à assurer un contenu canadien sont ignorés, la publicité fait pression directement ou par référence aux cotes d’écoute, etc. Dans un duel en champ clos entre le néolibéralisme et le droit du public à une diffusion diversifiée, fiable et digne, bien naïf qui pariera sur l’intérêt public. Que l’on hésite sur les moyens les plus indiqués pour préserver un certain équilibre, cela va de soi ; qu’on renonce à soutenir le droit du public à une information propice à la vie démocratique, c’est accepter la dictature des conglomérats.

Le secteur public, en théorie, échappe à cette logique marchande. L’intérêt public y est une référence explicite, ne serait-ce qu’en raison du fait qu’une portion du financement vient de fonds publics. Les objectifs ont cependant évolué là aussi. À une certaine époque, Radio-Canada faisait face à un triple mandat : «informer, instruire et distraire ». Quand Judy Lamarsh en tira comme conclusion que Radio-Canada devait dispenser des cours, les provinces réagirent. Le Québec, l’Alberta et l’Ontario occupèrent le champ grâce à leur télévision éducative. Le gouvernement central laissa tomber la prétention à « instruire » et les cours télévisés disparurent de l’antenne de Radio-Canada. Reste que Radio-Canada a mandat de distraire, mais aussi d’informer.

Qu’en est-il dans les faits ? Bien entendu, les opinions diffèrent. Une tendance lourde se manifeste pourtant : le secteur public est en perte de vitesse en matière d’information, sous l’angle de la qualité encore plus que sous celui de la quantité. Facteur aggravant, la confusion des genres oblige les auditoires à consacrer de plus en plus de temps à la recherche des précieuses pépites qui se cachent encore dans la programmation. Toutes les émissions, en effet, touchent à tout, l’animation déborde sur le commentaire, les styles musicaux tournent à la macédoine, la radio rabat les auditeurs vers les inepties télévisées... Et les animateurs parlent, comme dirait Vigneault, un français puni au lieu d’un français châtié !

Radio-Canada réussit en outre un impressionnant tour de passe-passe : aucune évaluation externe ne lui est applicable. On prétend mépriser les cotes d’écoute, mais on leur voue un culte exigeant. On modifie la programmation sans l’aval explicite du CRTC. Quiconque déplore la détérioration de la langue parlée en ondes s’expose à une réplique cinglante : « Nous ne visons pas un auditoire de dix intellectuels ! » Si la critique va dans l’autre sens et reproche à Radio-Canada de perdre ses auditoires traditionnels en matière d’information et d’affaires publiques, la réplique pivotera : « Nous ne sommes pas là pour les cotes d’écoute ! » L’argumentation est à géométrie variable, alors qu’il devrait être possible d’évaluer avec nuance et clarté l’atteinte des objectifs.

3. Amnésie médiatique?

Le métier de journaliste et l’appartenance au monde des médias devraient assurément échapper à la conscription. Mais ils ne devraient pas esquiver les responsabilités qui vont de pair avec l’intervention en zone socialement névralgique. Publier, diffuser, mettre en ligne ne peuvent ni ne doivent se réduire à une activité purement commerciale. C’est pourtant la conception que se font de leurs droits l’immense majorité des médias du secteur privé et, de façon croissante, la radio et la télévision de Radio-Canada. Tout se passe comme si les composantes essentielles de la démocratie, de la vie en société et de la culture pouvaient se transiger, se vendre, s’aliéner comme n’importe quel produit commercial et quantitatif.

On réagirait de la mauvaise façon si on prétendait corriger un dérapage social ou culturel en appliquant des critères lourdauds à la démocratie ou à la culture. Si les médias ignorent les dimensions qualitatives de leur rôle, des mesures quantitatives ne les réveilleront pas. D’ailleurs, la sociopolitique canadienne des médias traite différemment les médias écrits et la presse dite électronique. Dans la première catégorie, c’est presque la liberté des enfants de Dieu qui est la pratique ; dans la seconde, des organismes interviennent soit pour accorder des permis d’exploitation soit pour déterminer les règles applicables au contenu ou au style à respecter. On prétend, se trompant de siècle, que l’État n’intervient dans le domaine électronique qu’en raison de la rareté des fréquences. On peut penser, cependant, que l’État, bienveillant et paternaliste, fait davantage confiance à ceux qui savent lire qu’aux consommateurs d’images ou de bruits.

Il faut pourtant des limites. Des principes, peu nombreux et assez simples, devraient recevoir d’emblée l’adhésion des médias. Je pense ici à la « fairness doctrine », équivalent approximatif de la règle audi alteram partem, au respect des réputations, à la séparation de l’information et de la publicité, etc. Privés ou publics, les médias devraient s’incliner devant de tels minima. Malheureusement, ce n’est pas le cas, ce qui en dit long sur le souci de l’intérêt public de la part des médias. Est-ce mieux dans le cas de Radio-Canada ? La différence est de moins en moins visible. D’une part, je l’ai dit, parce que Radio-Canada accepte ou rejette selon son caprice l’évaluation quantitative des cotes d’écoute. D’autre part, parce que Radio-Canada, qui est appelée à une performance qualitative particulière et qui est financée en conséquence, n’a jamais élaboré de critères d’évaluation qualitative crédibles et publics.

En guise de conclusion

Quelques orientations me paraissent devoir se dégager. Dans le cas de Radio-Canada, il est urgent que la notion d’intérêt public soit réhabilitée. La mise au point de mécanismes d’évaluation qualitative irait dans ce sens et je crois que les universités pourraient aider grandement. Jusqu’à maintenant, elles ont scruté Sirius plutôt que la planète Terre. Dans le secteur privé, je serais tenté de réduire le rôle de l’organisme de contrôle à l’octroi des fréquences et à la surveillance des contingentements requis pour l’épanouissement de l’exception culturelle. Pour tout le reste, je laisserais jouer le marché, à une nuance près cependant : dans le cas de plaintes présentant une vraisemblance de droit, les radiodiffuseurs devraient être amenés à contribuer au financement des contestations. Dans le cas de la téléphonie, le CRTC a appliqué le principe il y déjà longtemps et Bell devait payer pour que les consommateurs puissent embaucher des experts comparables à ceux du conglomérat. La Régie québécoise de l’énergie a appliqué le même principe en versant plus d’un million aux groupes qui contestaient devant elle le dossier du Suroit. Si le CRTC pratiquait cette exigence d’équité, le déséquilibre des ressources financières cesserait de favoriser les radiotélédiffuseurs.

Dans le cas des journalistes, le découpage temporel auquel a procédé Armande Saint-Jean (Éthique de l’information - Fondements et pratiques depuis 1960, PUM, 2002) est en lui-même un questionnement exigeant. De 1960 à 1970, dit l’auteure, phase d’éveil et de croissance. De 1970 à 1980, phase de militantisme. De 1980 à 1990, phase d’embourgeoisement. De 1990 à 2000, phase de mutation. Là s’arrête le survol, ce qui dispense l’auteure de dire vers quoi nous mènent la montée du journalisme d’humeur, les croisements d’intérêts corporatifs, le déséquilibre des forces entre le syndicalisme et les grandes entreprises de presse.

En somme, l’intérêt public n’est plus, aux yeux des médias, un critère important. Le verdict est plus net dans le secteur privé, mais il s’applique, hélas !, dans le secteur public également.
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* Laurent Laplante, journaliste et écrivain, a aussi été animateur d’émissions d’affaires publiques à la radio et à la télé. Comme journaliste, éditorialiste ou rédacteur en chef, il a travaillé pour plusieurs quotidiens québécois, dont Le Devoir, L’Action, Le Jour et Le Soleil.