Jean-Paul L’Allier – Bâtir et conserver la confiance du public


N’ayant pu se joindre aux invités du colloque Médias et démocratie en raison d’activités déjà inscrites à son agenda, l’ex-politicien nous a néanmoins fait parvenir ce texte de réflexion.


Informer est-il encore d’intérêt public? La réponse est évidemment oui, malgré la turbulence et la multiplication des sources d’information, leur qualité souvent invérifiable et l’intérêt avant tout des grandes entreprises qui sont arrivées à leurs fins: intégrer le plus grand nombre possible d’outils de communication.

D’entrée de jeu, les textes que j’ai lus de Marc-François Bernier, François Demers et Liza Frulla sur le site Web du colloque sont des textes que j’aurais pu signer tant je partage les points de vue qui y sont exprimés.

Le journaliste, ouvrier ou professionnel de l’information, se voit aujourd’hui obligé de coller le nez sur le quotidien et doit chercher la nouvelle qui se vendra. Cette obligation, difficile à accepter quand on sort de l’école, devient alors une façon de se comporter. On rapporte les choses et laisse au lecteur ou à l’auditeur le soin de choisir ce qui l’informera, selon son intérêt et ses préoccupations. Dans le métier, il y a les patrons, les éditorialistes, de plus en plus de chroniqueurs et les journalistes, les journalistes eux-mêmes spécialisés selon les sujets. Les niveaux d’éthique perceptibles vont de très bas à exemplaire, toujours dans un contexte de concurrence féroce avec «le cher collègue».

Le travail quotidien est si accaparant qu’il laisse à l’individu peu de temps pour la réflexion plus globale et plus complète au sujet du contexte dans lequel il évolue et où il doit situer son travail. Au cœur du métier d’informer, comme au cœur de la société, le mot-clé est «confiance». On choisit parmi tout ce à quoi on a accès, les sources qui nous semblent les plus dignes de confiance. Cette confiance, le journaliste doit la développer et on en vient facilement à présumer que si l’information est signée par telle ou telle personne, elle est crédible pour nous, même si elle ne l’est pas pour d’autres. Par voie de conséquence, le grand défi auquel doit faire face le journaliste n’est pas la complexité des outils de communication, mais plutôt la confiance qu’il suscite chez ceux qu’il rejoint, par quelque moyen que ce soit. Il doit se souvenir qu’en politique et en affaires, la confiance se bâtit lentement mais se perd rapidement.

Dans ce contexte, le rôle du syndicat n’est pas de protéger le statu quo mais bien de chercher des moyens innovateurs d’aider ses membres à développer leur crédibilité et la confiance qu’on a en eux. Les tâches sont appelées à évoluer, qu’on le veuille ou non, mais ce qu’il y a de plus important c’est que le journaliste ne soit pas obligé de sacrifier sa crédibilité et sa confiance sous prétexte d’améliorer son cadre de vie, dans une société sans repères solidement ancrée dans des valeurs et dans laquelle chacun se trouve finalement bien seul. Selon qu’on regarde TV5, Radio-Canada ou la BBC, les guerres du Golfe, en Afghanistan ou ailleurs, sont présentées sous des angles différents.

Depuis que je me suis éloigné de la politique active, ma plus grande satisfaction a été de retrouver le temps de la réflexion, de l’analyse et de l’échange ou du débat. Ce temps, quand on vit la politique ou le métier de journaliste, ne nous est souvent accessible qu’après de longues semaines de travail et il se partage alors avec le repos, les loisirs et la vie personnelle. Ce que j’apprécie ce sont les textes et réflexions qu’on trouve dans les grands magazines français ou américains de gens qui ont pris le temps, depuis des années, de se documenter et de nous fournir une information qui bonifie grandement nos choix et la démocratie.

C’est dans ce contexte et pour illustrer mon propos que je transcris ici à votre intention un texte de la journaliste Marie Bénilde, publié dans le numéro d’avril-mai 2007 du magazine Manière de voir, c’est-à-dire avant l’élection présidentielle française. Cette lecture m’a laissé perplexe en même temps qu’elle a confirmé la mondialisation d’une certaine perversion de l’information et de la politique. Se peut-il que ce soit la même chose chez nous?

M. Sarkozy couronné par les oligarques des médias?

De l’Italie à la France, la collusion de la presse, des milieux économiques et des cercles politiques mine la démocratie et le débat public. M. Nicolas Sarkozy a poussé au paroxysme cette mise en valeur de soi-même que les autres candidats à la présidentielle sont loin de négliger.

La courte défaite électorale de M. Silvio Berlusconi, en avril 2006, a porté un coup au système clanique italien, bien déterminé à contrôler l'opinion grâce à un mélange de marketing politique, d'intérêts croisés avec la presse et l'édition, et de mainmise directe ou indirecte sur le paysage audiovisuel. Certes, un an plus tôt, en France, le référendum sur la Constitution européenne établissait qu'il ne suffisait pas de disposer de la quasi-totalité de l'espace médiatique pour convaincre une majorité de citoyens. Toutefois, la perspective de l'élection présidentielle, au prin­temps 2007, va permettre d'apprécier si un laborieux travail de domestication des médias ne finit pas, malgré tout, par se révéler payant. N'est-ce pas ainsi que certains ont interprété la réélection à la tête de l'État de M. Jacques Chirac en 2002, sur fond de campagne de presse matraquant le thème de l'insécurité?

Tout est en place, en tout cas, pour favoriser l'intronisation de M. Nicolas Sarkozy à l'Élysée. Chef du principal parti de droite, l'Union pour un mouvement populaire (UMP), ministre de l'intérieur et président du conseil général du département le plus riche de France, les Hauts-de-Seine, l'homme s'est employé à construire depuis vingt ans un étonnant réseau d'influence dans les médias. Au service de ses ambitions suprêmes. Ce réseau a une nouvelle fois donné sa mesure pendant l'été 2006. Le nouveau livre de M. Sarkozy, Témoignage (Xo, Paris), paru en juillet, fut aussitôt salué par une couverture souriante du Point (la troisième en quatre mois) et, entre autres exemples, par un entretien d'une complaisance presque burlesque avec Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. Pour l'inter­vieweur et patron de la radio privée appartenant au groupe Lagardère - qui comprend aussi Paris Match, Le Journal du dimanche, Elle... -, M. Sar­kozy a cette qualité remarquable qu'il refuse la «docilité». Une vertu qu'on sait très prisée par M. Arnaud Lagardère, dont Jean-Pierre Elkab­bach est aussi le conseiller: en juin 2006, l’éviction d'Alain Genestar, directeur de Paris Match, coupable d'avoir publié en couverture une photographie de l'épouse du président de l'UMP avec son compagnon de l'époque, démontra les limites de l'indocilité permise aux médias du groupe en question. Un patron de presse limogé pour complaire à un ministre et chef de parti? Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas connu pareille marque d'allégeance journalistique au pouvoir politique...

Il y a là le résultat d'un long et patient travail entrepris par le candidat de l'UMP pour se rapprocher des grands patrons propriétaires de médias. M. Sarkozy possède un épais carnet d'adresses dans la presse et l'audio­visuel. On y remarque d'abord les familiers, comme M. Martin Bouygues, actionnaire de TF1 et parrain de son fils, ou M. Bernard Arnault (La Tribune, Investir, Radio Classique), dont la fille Delphine se maria en présence de M. Sarkozy. Habitant Neuilly, MM. Bouygues et Arnault furent tous deux témoins aux épousailles du maire de la ville.

Ces relations professionnelles ont affermi les amitiés. Ainsi, M. Lagardère doit à M. Sarkozy le règlement, en 2004, du conflit d'héri­tage qui l'opposait à sa belle-mère Betty, lorsque l'homme politique et ancien avocat d'affaires avait, en tant que ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la haute main sur l'administration fiscale. «On signe ton truc fiscal et on passe à autre chose», aurait dit le ministre, sitôt nommé à Bercy (1). Décédé en 2003, Jean-Luc Lagardère avait lui aussi eu l'occasion d'apprécier, lors de la faillite de La Cinq en 1992, les conseils de l'associé du cabinet Claude-Sarkozy.

En avril 2005, le président de l'UMP fut l'invité d'honneur d'un sémi­naire du groupe Lagardère à Deauville. L'héritier Arnaud le présenta «non pas comme un ami, mais comme un frère». Un mois plus tard, le patron du principal groupe de presse et d'édition français affichait son amitié en participant à un meeting de M. Sarkozy (animé par le journaliste Michel Field) en faveur du «oui» à la Constitution européenne. Stéphane Courbit, président d'Endemol France, producteur des émissions de Marc-Olivier Fogiel et de Karl Zéro, assistait également à cette réunion électorale.

De son côté, M. Serge Dassault (Le Figaro, Valeurs actuelles) se souvient que l'actuel ministre de l'intérieur a «démêlé» la succession de son père Marcel (2). Et il n'ignore pas que M. Sarkozy est devenu un familier de son fils aîné Olivier, par ailleurs député UMP. Parfois, les rôles s'entrecroisent: proches de la famille, MM. Bouygues et Arnault comptèrent aussi au nombre des clients du cabinet d'avocats.

La construction d'un tel réseau n'est nullement le fruit du hasard. En 1983, lorsqu'il conquiert la mairie de Neuilly, M. Sarkozy s'attelle à bâtir un cercle de relations susceptibles de favoriser son ascension politique. Sa ville, une des plus prospères de France, compte deux mille quatre cents entreprises, donc de nombreux patrons qui s'intéressent à lui en voisins ou en administrés, à titre personnel ou professionnel. Dès 1985, le maire crée le club Neuilly Communication, lequel compte parmi ses membres M. Gérald de Roquemaurel, président-directeur général de Hachette Filipacchi Médias, M. Nicolas de Tavernost, président de M6, ou encore M. Arnaud de Puyfontaine, patron de Mondadori France (ex-Emap France, troisième éditeur de magazines). M. Sarkozy veille également à s'entourer de publicitaires, comme MM. Thierry Saussez, président d'Image et stratégie, Philippe Gaumont (FCB), puis Jean-Michel Goudard (le «G» d'Euro RSCG). Il fréquente enfin les grands annonceurs Philippe Charriez (Procter & Gamble) et Lindsay Owen-Jones (L'Oréal).

En juillet 1994, l'actuel président de l'UMP devient simultanément ministre de la communication et ministre du budget du gouvernement de M. Edouard Balladur, ce qui lui permet d'être à la fois le décideur politique et le pourvoyeur de fonds publics des grands groupes de médias... Mais c'est surtout sa position de porte-parole du gouvernement, puis du candidat Balladur, entre 1993 et 1995, qui l'amène à rencontrer les hommes d'influence que sont Alain Mine et Jean-Marie Colombani, en train de consolider leur pouvoir au Monde. M. Sarkozy s'emploie à orchestrer l'engouement médiatique en faveur de M. Balladur, dont M. Minc est un des partisans déclarés, et à présenter son élection comme acquise. Il bénéficie à cette fin de l'appui du sondeur Jérôme Jaffré, alors directeur général de la Sofres. Le 22 mars 1995, Le Monde titre en «une»: «M. et Mme Chirac ont tiré profit d'une vente de terrains au Port de Paris». L'information émane de la direction du budget chapeautée par... M. Sarkozy.

TF1 est également de la partie (3). Une de ses présentatrices, Claire Chazal, signe une hagiographie de M. Balladur tandis que M. Bouygues ouvre les portes de sa chaîne à celui qui passe déjà pour un vice-premier ministre. Alors directeur de l'information de France 2, Jean-Luc Mano suit le mouvement; il participera plus tard à la conception de la cam­pagne menée par M. Sarkozy pour les élections européennes de 1999 (4).

En mai 1993, une spectaculaire prise d'otages dans une maternelle de Neuilly le fait connaître des téléspectateurs. «Il était toujours devant les caméras, sans parler, rappelle Jean-Pierre About, rédacteur en chef au service enquête de TF1. Mais le lendemain, lorsque HB (Human Bomb, nom donné au preneur d'otages) a pris une balle, il avait disparu du dispositif. Un coup de maître, puisqu'il n'est pas lié à la polémique sur l'opportunité de tuer le ravisseur qui a suivi (5).» Cette technique dite du «mouvement permanent», qui consiste à se saisir de l'actualité immé­diate pour apparaître à son avantage dans les médias, puis à foncer sur un autre événement, constitue la marque de fabrique de M. Sarkozy.

En 2002, un premier passage au ministère de l'Intérieur lui permet de systématiser cette méthode de communication. TF1, dont les journaux mettent en scène un climat d'insécurité, se fait le relais zélé de la riposte ministérielle. Le 22 mai 2002, une intervention à Strasbourg du groupe d'intervention régional donne le ton. TF1 évoque alors la saisie d'«armes de guerre»: deux pistolets, quatre caméscopes, trois ordinateurs et deux appareils photo numériques (6)... Très vite, le ministre devient l'unique émetteur de la parole policière. En novembre 2005, les émeutes dans les banlieues illustrent ce basculement. Une cellule de communication est installée Place Beauvau et, dorénavant, l'information officielle passe par le prisme du ministre de l'Intérieur. Lequel - «Karcher», «racaille» - aime jouer les pompiers pyromanes.

Dépendants de sa parole, les médias en sont aussi les dépositaires. À l'évidence, M. Sarkozy a une faconde et un style imagé qui leur plaisent. Aucun homme politique n'a été, comme lui, trois fois l'invité de l'émis­sion «100 minutes pour convaincre» de France 2. Chaque fois, l'audience est au rendez-vous (entre 4 et 6 millions de téléspectateurs).

Son adresse oratoire doit beaucoup aux «ficelles» du métier d'avocat: recours emphatique aux formules interrogatives et aux anaphores («Parce que vous croyez que...»), effets de sidération par les images («On ne peut pas violer impunément une adolescente dans une cave»), posture du «parler vrai» et populaire («Moi, j'essaye d'être compris des gens»)... La séduction joue auprès des journalistes. «Il a une manière de poser les questions qui fait qu'on est toujours d'accord avec la réponse. On fait un peu office de «sparring partner» (...), avoue Thomas Lebègue, journaliste à Libération. Il voit comment les arguments passent auprès des journalistes avant de les diffuser à grande échelle (7). » Fût-il ministre de l'Intérieur, un poste qui ne garantit pas d'ordinaire une grande popu­larité chez les journalistes, un homme qui montre qu'il adore les médias et qui se prête à leur jeu de l'image ne saurait être tout à fait mauvais...

Cette idylle s'exprime en chiffres: entre mai 2005 et août 2006. M. Sarkozy a eu droit à une moyenne mensuelle de 411 articles, contre 220 pour M. Dominique de Villepin lorsqu'il exerçait les mêmes fonc­tions Place Beauvau (8). L'homme a compris comment amadouer ce que la presse est devenue. Ministre du Budget ou des Finances, il s'est gardé de toucher à l'abattement fiscal contesté des journalistes. Simultanément, il a pris des positions très libérales sur la défiscalisation des entreprises, l'impôt sur la fortune ou les droits de succession. Elles ne peuvent que satisfaire ces magnats-héritiers que sont MM. Lagardère, Bouygues, Das­sault, Edouard de Rothschild, etc. (9).

«Un journaliste qui me critique est un journaliste qui ne me connaît pas», a coutume de dire M. Sarkozy. N'est-il pas d'ailleurs une sorte de confrère, lui qui rêva un temps de devenir présentateur du «20 heures»? En 1995, quand il publie sous pseudonyme une série d'articles intitulée «Lettres de mon château», dans Les Echos, il montre qu'il s'intéresse autant à la vie des médias qu'à la politique. Du coup, l'homme a l'habi­tude de valoriser les journalistes, de s'intéresser aux nouvelles recrues. De les tutoyer aussi, comme Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, ou Jean-Marie Colombani. Dans ce dernier cas, Edwy Plenel s'en déclara troublé... mais en mars 2006, six mois après avoir quitté la rédaction du Monde. En 2003, au moment de la sortie du livre de Pierre Péan et de Philippe Cohen consacré au quotidien du soir, le même avait néanmoins sollicité le conseil du ministre dans son bureau de la place Beauvau (10).

Le président de l'UMP dispose des cartes lui permettant d'espérer l'épilogue présidentiel de cette puissante orchestration médiatique. Peu importe qu'il se trompe ou qu'il se contredise dès lors que nul ou presque dans la presse ne le souligne. Le 25 janvier 2006, il estime, par exemple, que le contrat de première embauche (CPE) constitue «une très bonne mesure pour l'emploi de jeunes». Six mois plus tard, il se ravise: «J'étais persuadé que le CPE serait vécu comme injuste pour la raison simple qu'il l'était.» En juillet dernier, il approuve chaudement les bombardements et les préparatifs d'invasion du Liban sud: «Israël se défend» (Europe 1, 18 juillet). Plus tard, il se déclarera néanmoins d'accord avec le président de la République, assurément plus réservé sur le sujet (11).

De même qu'il a séduit nombre d'acteurs, de chanteurs et de stars du show-business (Jean Reno, Christian Clavier, Johnny Hallyday, etc.), M. Sarkozy parvient à être apprécié de journalistes réputés de gauche. M. Saussez s'en félicite: «Il a une bonne image chez des gens qui n'ont pas ses opinions: c'est très nouveau (12).» Naviguant entre la clémence relative, avec l'abrogation de la double peine, et la répression, avec la nouvelle loi sur l'immigration, le président de l'UMP offre à chacun motif à se laisser séduire. «Il considère que son rôle est de convaincre. Et d'abord les journalistes», concède son fidèle lieutenant, le ministre délé­gué aux collectivités territoriales Brice Hortefeux (13).

Si ces derniers constituent bien la cible de M. Sarkozy, c'est qu'ils vont ensuite relayer une image susceptible de prospérer dans des cercles influents, lesquels eux-mêmes influenceront d'autres cercles concen­triques dans leur entreprise, leur club de sport, leur voisinage... Sans être nécessairement un vecteur d'opinion direct, les médias comptent auprès de ceux qui pensent que les médias influencent le public.

En tout cas, M. Sarkozy a le temps et l'occasion de s'exprimer. Le matin sur Europe 1, Jean-Pierre Elkabbach lui octroie couramment vingt minutes supplémentaires d'entretien; LCI, filiale de TF1, retransmet en direct ses voeux à la presse; il fait la couverture de TV Magazine, ce supplément du Figaro diffusé auprès de cinq millions de lecteurs potentiels, à l'occasion d'un entretien sur Canal+ avec son ami Michel Denisot, déjà coauteur d'un livre avec le ministre. Quant à sa relation avec son épouse, Cécilia, elle fait le bonheur de la presse «people» (Gala, Paris Match...) chaque fois qu'elle sert les intérêts du présidentiable, mais provoque désormais l'autocensure, voire la censure, sitôt qu'elle cesse d'être à son avantage. Ainsi, lorsqu'une journaliste de Gala, Valérie Domain, décida en 2005 d'écrire un livre qui n'agréait pas à M. Sarkozy, Entre le coeur et la raison, l'éditeur - M. Vincent Barbare - fut convoqué Place Beauvau.

La volonté de contrôler les médias peut être assez naturelle chez un responsable politique. Plus inhabituelle est la passion d'une commu­nauté de dirigeants de médias et de journalistes (Denis Jeambar, qui vient de quitter la direction de L'Express pour celle des éditions du Seuil, et Franz-Olivier Giesbert, président-directeur général du Point, par exemple) à lui servir de relais. Encouragés par l'aura dont bénéficie le présiden­tiable auprès de leur propriétaire ou de leurs annonceurs, ils surestiment sans doute la séduction qu'il exerce et ils occultent trop volontiers l'échec de sa politique, par exemple sur le terrain des violences aux personnes (en hausse de 12% entre mai 2002 et avril 2006).

En rebondissant sans cesse sur l'actualité, M. Sarkozy teste des idées qu'il calibre empiriquement en fonction de l'écho médiatique qu'elles reçoivent. Son objectif est de construire ainsi une légitimité cathodique et de demeurer au zénith des instituts de sondage avec une autorité conférée par les «unes» plutôt que par les urnes. Sur ce point précis, certains responsables socialistes, dont Mme Ségolène Royal, ne se comportent pas toujours différemment. Pour qu'elle ait, à son tour, décidé de s'installer sous les feux de la rampe, un conseiller de la présidente du conseil régional de Poitou-Chatentes admet: «La présence médiatique donne l'apparence de l'action. On a décidé de faire comme Nicolas Sar­kozy, on prend toutes les occasions. On cannibalise tout (14). »

Dans le cas du ministre de l'Intérieur, tout le monde - ou presque - y trouve son compte, tant que le «produit» se vend: «C'est le seul homme politique dont les régies publicitaires sont contentes quand il fait la cou­verture», avance M. Jérôme Peyrat, directeur général de l'UMP (15). Ce genre de considération importe dans la presse, compte tenu du déclin de sa diffusion. Quant aux Français, ils vont bientôt se prononcer sur le profit qu'ils retirent de l'exposition avantageuse d'un homme entièrement tourné vers la satisfaction de son ambition et de son clan.

(1) Airy Routier, Le Complot des paranos, Albin Michel, Paris, 2006, p. 119.
(2) Cf. «Sarkozy et les patrons», Le Point, Paris, 26 août 2004.
(3) Lire Pierre Péan et Christophe Nick, TFI. Un pouvoir, Fayard, Paris, 1997.
(4) Le Rassemblement pour la France (RPF) de M. Charles Pasqua (13,05%) avait alors devancé le Rassemblement pour la République - Démocratie libérale de M. Sarkozy (12,82%). Le Parti socialiste, allié au Mouvement républicain et citoyen, totalisait 21,95% des suffrages.
(5) Claire Artufel et Marlène Duroux, Nicolas Sarkozy et la communication, Pepper, Paris, 2006, p. 37.
(6) Aymeric Mantoux, Nicolas Sarkozy ou l'instinct du pouvoir, First Editions, Paris, 2003, p. 35.
(7) Claire Artufel et Marlène Duroux, op. cit., p. 70.
(8) Selon Claire Artufel et Marlène Duroux, ibid.
(9) Lire «Médias français, une affaire de familles», Le Monde diplomatique, novembre 2003.
(10) Cf. la lettre d'Edwy Plenel dans Marianne, Paris, 18 mars 2006.
(11) Le revirement de M. Sarkozy dans le cas de la fusion entre Gaz de France (GDF) et Suez a été plus souvent évoqué par la presse: ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie en 2004, M. Sarkozy s'engage solennellement à ce que la part de l'État ne descende jamais en dessous de 70% dans GDF. En 2006, il se prononce cependant en faveur de la fusion de l'entité publique avec le groupe privé, ce qui rendra minoritaire la part de l'État dans la nouvelle entité.
(12) Aymeric Mantoux, op. cit., p. 75.
(13) «Comment Sarkozy cherche à contrôler les médias», Marianne, Paris, 11 mars 2006.
(14) Cité par Le Point, Paris, 17 août 2006.
(15) «L'entreprise Sarkozy», Challenges, Paris, 16 mars 2006.

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